On prend nos marques aux Canaries

Nous voici donc à Tenerife. Ici, tout doit se réserver à l’avance: marinas, voitures, randos… À bord de Jade, on n’a pas vraiment l’habitude. Le temps de s’adapter à cette nouvelle donne, on sociabilise de tous les côtés. Comme si le voyage nous rappelait à son objectif premier: rencontrer.

 

 

6 octobre 2021, 20h – Mouillage d’Antequera, nord de Tenerife, Canaries

Arrivés de Madère ce matin, pas du tout à l’endroit où nous avions prévu d’atterrir. Et personne ne le sait. Car ici, pas de réseau. Aujourd’hui, nous ne sommes nulle part pour personne. En sursis, en quelque sorte. Nous n’existons que l’un pour l’autre.

La nuit à venir sera « normale ». Silencieuse. Dormir, déjà. Dans un lit. Pour la durée qu’il nous siéra. Le pied.

 

 

7 octobre 2021 – Mouillage d’Antequera

13 heures – Ce matin, avons nagé jusqu’à la plage de sable noir et gravi la montagne sur quelques centaines de mètres. Jambes griffées par les cailloux et les cactus de toutes les couleurs. Là-haut, avons capté l’onde de réseau suffisante pour envoyer un message rassurant aux proches. Au vu des appels en absence d’Arnaud et Laetitia, de Macajou, il se peut qu’ils se soient inquiétés.

16h15 – Revenons tout juste d’une invitation à déjeuner au pied levé. Salade de pastèque et pommes de terre au cumin à bord d’un bateau canarien ancré à quelques mètres de Jade: celui de Teofilo, ex-pompier à la caserne de l’aéroport voisin. Le couple français du troisième bateau au mouillage, Fabienne et Pascal, est également de la partie. Pour le café, un dernier bateau s’approche et trois amis canariens de Teofilo débarquent: Domingo, Alberto et Javier. Tout ce petit monde échange en bribes de trois langues (espagnol, français, anglais), en se passant joyeusement les plats dans le cockpit du voilier de 9 mètres. Pour le café, Teofilo sort son ukulele canarien. Ce soir, on enchaîne par l’apéro à bord de Jade.

20 heures – Ce soir donc, bières et poncha dans le cockpit de Jade. Pascal a emporté une petite mallette noire dans un sac de courses. Au bout d’une demi-heure, il la pose sur la table: une flûte traversière! Pascal est musicien professionnel. Pour la première fois du voyage, je vais chercher mon accordéon dans la cabine avant. « La vie en rose », Bach, Fauré. J’accompagne comme je peux. Mais au pied de ces montagnes, au milieu de ces gens que ce matin encore nous ne connaissions pas, dans ce vent qui joue lui aussi un bout du tuyau… la musique fut belle.

Je me surprends à penser que si nous étions allés aux îles Selvagens comme prévu, si nous avions abordé les Canaries par l’île de la Graciosa comme prévu… ces instants de magie n’auraient jamais eu lieu.

 

 

8 octobre 2021 – Mouillage d’Antequera

10h15 – Apposto, le voilier de Fabienne et Pascal, est parti il y a une heure. De notre côté, les amarres et les pare-battages sont déjà prêts. Direction Santa Cruz de Tenerife: une petite heure de navigation pour se mettre à l’abri du vent qui souffle déjà fort et se renforce dans la journée.

C’est reparti. Fini l’insouciance du mouillage. Jade a changé de visage, pour moi, depuis cette dernière navigation. J’ai toujours confiance, mais je me méfie. Elle n’est pas « la petite Jade à sa maman ». Un animal sauvage jamais apprivoisé, jamais dressé. Elle me l’a gentiment rappelé.

21 heures – Ce soir, première sortie en ville. Santa Cruz de Tenerife, capitale de l’île. Pas très jolie, mais retrouvailles avec l’ambiance espagnole: du monde, du bruit, de la musique, des bars qui débordent de gens qui parlent fort. L’ambiance portugaise était moins festive, plus douce. On apprécie l’une ou l’autre selon l’humeur du moment.

 

9 octobre 2021, 13h30 – Marina de Santa Cruz

Venons d’assister à une arrivée remarquable: celle d’un voilier de 50 pieds en panne de marche arrière. Nous sommes sur le catway, prêts à aider à l’amarrage. Le bateau se présente devant le ponton en marche avant, avance, avance… et ne s’arrête pas. Il monte sur le ponton et dans son élan, vient percuter le voilier d’en face. Le choc le stoppe net. Le catway bascule, Christophe manque de tomber à l’eau. Moi, j’ai une amarre à la main sans savoir qui me l’a lancée, à quel moment, quoi en faire.

Il faut une demi-heure aux marineros pour désencastrer le bateau en le tirant en arrière avec le zodiac du port. Presque pas de casse excepté le ponton, qui était le dernier disponible de toute la marina.

Quand même. Ça fait drôle.

 

Quand en arrivant au port, le futur voisin de ponton réalise qu'il n'a plus de marche arrière... Plus de peur que de mal et peu de dégâts, heureusement! (N.B. Je me permets de partager cette photo prise et partagée par le propriétaire du bateau lui-même).
Quand en arrivant au port, le futur voisin de ponton réalise qu’il n’a plus de marche arrière… Plus de peur que de mal et peu de dégâts, heureusement! (N.B. Je me permets de partager cette photo prise et partagée par le propriétaire du bateau lui-même).

11 octobre 2021, 18h – Marina de Santa Cruz

Sortons de deux déjeuners consécutifs. Celui que nous avons pris vers 13 heures en pensant que Teofilo, rencontré au mouillage d’Antequera il y a trois jours, nous avait oubliés. Et celui que nous avons pris avec ses amis et lui lorsqu’ils se sont pointés au bout du ponton vers 14 heures. Ah, les horaires espagnols…! Ils nous ont conduits dans une Guachinche, sorte de gargote locale, perdue dans les montagnes au-dessus La Laguna. Avons goûté la patate douce à l’almogrote, l’escaldón, la viande de chèvre grillée, le calamar à la sauce vin rouge… Nourri ainsi, notre espagnol fait des progrès.

Hier, avions marché jusqu’au village de San Andres, à 8 kilomètres de Santa Cruz. La seule plage de sable blond de l’île, et pour cause: les grains dorés sont importés du Sahara!

 

 

12 octobre 2021, 23h30 – Marina de Santa Cruz

Aujourd’hui balade à La Laguna, capitale historique de Tenerife. Maisons colorées, balcons en bois ouvragé. Petit air de ce que j’imagine d’une bourgade mexicaine. La ville a, parait-il, servi de modèle architectural à La Havane.

Ce soir, apéritif à bord de Jade avec Didier, Brigitte et Mickael, de deux bateaux voisins. Le premier habite ici depuis dix ans, a travaillé à l’école française de Santa Cruz et garde, en ce moment, le voilier d’un copain. Brigitte et Mickael, infirmière et acupuncteur de métier, sont partis pour un tour du monde en catamaran l’année dernière, qu’ils ont interrompu ici pour que leurs enfants, lycéens, puissent refaire une année « normale » à l’école. Hier, c’était le fameux voilier sans marche arrière qui nous invitait à son bord. Au fil de la discussion, Christophe et l’un des membres de l’équipage réalisent qu’ils étaient élèves dans le même collège de la campagne lyonnaise à un an d’intervalle… Les noms de profs fusent de tous côtés!  Avant-hier, c’est Véronique et Benoit que nous avions à bord, rencontrés à Madère il y a plusieurs semaines et recroisés ici: un couple de dentistes normands qui, tous les 7-8 ans environ, fait une pause professionnelle pour voyager plusieurs années en bateau. Ils ont un voilier rouge en aluminium. Ça rapproche.

 

 

14 octobre 2021, 22h30 – Marina de Santa Cruz

Dernière soirée à Santa Cruz. L’avons passée avec Teofilo, Domingo et Javier, venus boucler la boucle de notre séjour à Tenerife Nord. Pour faire honneur aux spécialités canariennes qu’ils nous ont fait découvrir la dernière fois, on a sorti le grand jeu: Bordeaux, foie gras et fondue de fromages.

Demain, nous longerons Tenerife par l’Est. Pile dans le goulet d’étranglement entre Tenerife et Gran Canaria, là où le vent prend plaisir à accélérer. Pas vraiment le meilleur jour pour partir mais nous n’avons pas le choix: la marina de Santa Cruz nous met dehors, celle de San Miguel n’a pas de place avant deux jours. Avons identifié un mouillage moche mais a priori protégé. Départ à 8 heures tapantes pour éviter le vent trop fort. Ce soir, le capitaine est un peu nerveux.

 

 

15 octobre 2021, 21h20 – Mouillage Playa del Medio, Tenerife

Ce soir, après 5 heures de navigation depuis Santa Cruz, retrouvailles avec Arnaud, Laetitia et leurs enfants, de Macajou. Pas vus depuis Madère. Ils arrivent directement de Lanzarote. Nous les accueillons dans l’environnement le plus charmant qui soit: éoliennes sur bâbord, port industriel et plateforme pétrolière sur tribord. À l’avant, petite plage de galets noirs. Avec des amis pas vus depuis quatre semaines, attablés autour d’une plâtrée de pâtes et d’un verre de rosé, on oublie le décor.

 

16 octobre 2021, minuit – Marina de San Miguel, Tenerife

Cet après-midi, deux petites heures de navigation tranquille, de concert avec Macajou. Nous passons au Sud de Tenerife, la côte est déventée. On regarde le petit frère de Jade faire ses manœuvres et on commente: qui arrivera le premier?

Arrivés à la marina, un ami d’Arnaud et Laetitia, Jean-Marc, est là pour nous accueillir. Heureusement. Aucun marinero pour nous indiquer notre place, encore moins pour nous aider. Les jumelles et la VHF portable à la main, debout en plein cagnard sur le pont, j’ai mal au crâne. Et une fois en vue de la place qui nous est assignée… pas de catway! Pour la première fois du voyage (en ce qui me concerne, pour la première fois tout court), nous gérons un amarrage cul à quai avec pendilles à l’avant. L’une des deux est cassée. Jade est calée de travers, la jupe arrière est à deux doigts de se faire hacher menue par un pilier en acier. Il nous faudra plus d’une heure pour ajuster notre amarrage, et une plongée du capitaine au fond du port pour récupérer la pendille défectueuse. L’arrivée qui tue.

 

 

17 ocotobre 2021, 21h – Marina de San Miguel

Ce soir, balade jusqu’au village de Los Abrigos, à une petite heure de marche de la marina. Bars à foison et restos de poisson autour d’un port de pêche minuscule. Oasis d’authenticité au milieu des barres d’immeubles de la côte Sud. Tapas de crevettes à l’ail et d’encornets grillés pour fêter ça.

 

 

18 octobre 2021, 14h20 – Marina de San Miguel

Ce matin, épluchage du calendrier. Car enfin, nous avons compris: aux Canaries, tout se réserve. Marinas, voitures, balades – certains chemins de randonnée, soumis à des quotas pour raison de sécurité, ne peuvent pas être empruntés avant… début décembre! Enfin, nous y voyons un peu plus clair.

Nous décidons de faire une croix pour cette fois sur Lanzarote et les îles de l’Est : trop long et compliqué de remonter au vent. Nous allons nous concentrer sur les quatre îles de l’Ouest: Tenerife, La Gomera, El Hierro et La Palma. Pour cette dernière, nous réservons un ferry: l’éruption en cours du Cumbre Vieja provoque des pluies de cendre sur les bateaux amarrés au port, provoquant entre autres pas mal de soucis électriques. Nous brûlons de voir le volcan en pleine activité, mais pas à ce prix. Dans quelques jours, nous devrions également pouvoir contempler Tenerife depuis son point culminant: le volcan Teide, à 3715 mètres d’altitude. Là encore, la réservation est de mise. Enfin, à la Gomera, nous tenterons d’apercevoir les baleines, résidentes permanentes de la zone. Avec elles, nous n’avons pas pris de rendez-vous.

Départ prévu pour le Cap-Vert autour du 20 novembre, dernière étape avant la Transatlantique. Le compte à rebours est lancé.

 

Encore un apéro à bord de Jade! De gauche à droite: nous deux, Arnaud (voilier Macajou), Josse et Caroline (catamaran Toucan), Laetitia (Macajou), Fabienne et Pascal (voilier Apposto).
Encore un apéro à bord de Jade! De gauche à droite: nous deux, Arnaud (voilier Macajou), Josse et Caroline (catamaran Toucan), Laetitia (Macajou), Fabienne et Pascal (voilier Apposto).

 

 

 

 

8 Comments

  1. Ce concerto au Mouillage d’Antequera ne peut s’expliquer que si l’on a soi même vécu ces moments hors du temps, ou tout s’arrête, ou tout est magique , il y a rien à expliquer …..c’est « grand », moment gravé à jamais lol
    Bonne continuation, en attente du prochain compte rendu écrit et ….photos bien sûr. En tout cas super bonne mine tous les deux, génial.
    A très vite Bises Bernard

  2. Ça aurait été avec grand plaisir de vous recroiser à Lanzarote..
    Grosses bises et découvertes à vous 😉
    Jo
    BEAJ

  3. Merci 3B! On espère avoir le plaisir de t’accueillir à bord durant notre périple, et que tout va bien pour toi. On t’embrasse.

  4. Merci Johanne! Hé oui, on aurait bien aimé vous revoir nous aussi avant votre départ pour le Sine Saloum… C’est ça, le bateau: on ne sait pas qui l’on va rencontrer, ni quand l’on reverra les gens…
    On vous embrasse tous les quatre, bon vent à vous!

  5. Nous ne nous connaissons pas mais nous sommes en admiration pour votre aventure en lisant votre journzl de bord ainsi que celui de Macajou.
    Je suis l’oncle d’Arnaud.
    Nous nous régalons de vous suivre sur le site et la carte.
    Bon vent(mais pas trop!).
    Amitiés

  6. Merci Michel! Pas plus tard qu’hier, nous étions en randonnée dans le parc du Teide, à Tenerife, avec toute la petite famille mMcajou… On ne se quitte plus!

  7. Bonjour,
    Tout cela me fait bien rêver.
    Nous sommes un couple, franco allemand , à la retraite, et nous serions intéressés de vous joindre sur un bateau, surtout mon mari qui a navigué, de plus est un excellent nageur.
    Nous habitons un grand appartement l’hiver à Santa Cruz et sinon sommes dans le Périgord,, vous seriez également les bienvenus.
    Je l’anse une bouteille à la mer, qui sait?
    Au plaisir de vous lire,
    Catherine et Torsten

  8. Bonjour Catherine et Torsten, merci pour votre message. Nous ne prenons pas d’équipiers/visiteurs à bord de Jade. Bonne continuation à vous!

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