La Dominique, l’île la plus caraïbe des Caraïbes

C’est la seule île du coin que Christophe Colomb, 500 ans plus tard, reconnaîtrait peut-être. La seule à compter encore une communauté significative d’indiens Caraïbes – ou plutôt Kalinagos, comme ils se nomment eux-mêmes. La Dominique, c’est comme un voyage dans le temps. Sur fond de reggae. Quand même.

 

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Notre descente du Nord de la Guadeloupe jusqu’au Nord de la Martinique en passant par la Dominique, où nous nous étions promis de nous arrêter (utiliser la molette de la souris pour zoomer et dézoomer sur la carte).

 

7 mai 2022, 22 heures – Mouillage de Deshaies, Guadeloupe

Ce soir, une eau-miroir dans la baie de Deshaies. Pas un souffle de vent. À quelques mètres du bateau, la symphonie forêt-vierge des grenouilles et insectes, opus « après le déluge », a démarré. Une musique qui n’existait pas à Antigua, d’où nous sommes partis ce matin. Pas de forêts là-bas. L’île est trop sèche.

Navigation pas facile, aujourd’hui. Au travers puis au près, sous le gris puis la pluie. Pour finir sur une arrivée au mouillage pas sympa: on s’y reprend à trois fois, un coup nous sommes trop près du catamaran d’à côté, le suivant c’est l’ancre qui n’accroche pas. La fatigue aidant, trempée jusqu’aux os, je me suis demandée, tout à l’heure, ce que je faisais là. Pourquoi on s’infligeait tout ça. À présent le mouillage est calme. Nous sortons d’un apéro-dîner improvisé avec Robert et Monique, sur le bateau d’à côté. Tout baigne à nouveau.

 

8 mai 2022, 18h50 – Mouillage de Malendure, Guadeloupe

Retrouvailles émues, depuis hier, avec la Guadeloupe. Son vert, ses eaux noires, ses montagnes. Pensions ne rester qu’aujourd’hui à Malendure, mais resterons aussi demain. Envie d’aller resaluer l’îlet Pigeon et, cette fois, présenter nos hommages au Commandant Cousteau, que nous n’avions pas trouvé la fois dernière.

Retrouvailles émues, aussi, il faut bien le dire, avec les produits français. Bon pain aux céréales, saucisson aux noisettes, fromages en pagaille. On ne se refait pas.

 

Deuxième passage à Malendure, en Guadeloupe – décidément, on aime beaucoup cet endroit.
Et cette fois, par 12 mètres de fond… la statue du Commandant, on l’a trouvée!

 

10 mai 2022

6h30, mouillage de Malendure – Ce matin, quittons Malendure pour les Saintes, où nous retrouverons nos amis Pascal et Fabienne, du voilier Apposto, ainsi que Christian et Gigi, de Shupppens. Pas de vent ce matin, ou presque. Jade se dandine sur le roulis du mouillage. Espérons que ça se lève un peu quand même. Les voiles trépignent.

17h30, bouée devant Terre-de-Haut, les Saintes – Retour aux Saintes, un mois plus tard. Le temps n’est plus le même: vent instable, ciel chargé. À Terre-de-Haut, l’ambiance a changé: beaucoup moins d’annexes au ponton et de touristes dans les rues, nombreux restaurants fermés. Il y a même des bouées de libres au mouillage! Dans les ruelles du bourg, des Saintois se baladent, se regroupent, papotent avec le chien en laisse ou la bière en main, dans un créole qui chante. Les supérettes sont investies par les collégiens fraichement sortis des cours. Les Saintes, fin de saison. On s’offre une glace, tiens.

22h30 – Ce soir, dîner-retrouvailles avec nos amis. Au milieu du repas, Christian nous raconte une histoire: celle de la poussière d’étoiles… Selon lui (et plusieurs articles scientifiques qu’il a consultés), les particules d’étoiles, venues du cosmos et attirées vers la Terre par gravitation, seraient plus concentrées dans l’air qui se situe au-dessus de l’océan que dans celui qui stagne au-dessus de la terre ferme. En mer, donc, rien qu’en respirant l’air frais du large pendant son quart de nuit, on en ingérerait bien plus qu’en restant dans son lit de terrien. Des atomes d’étoiles vieux de millions d’années… Une affaire à creuser. Ou plutôt non:  peut-être à croire, tout simplement. Il y a des histoires trop belles pour qu’on les dissèque.

 

 

13 mai 2022, 18h45 – Bouée devant Terre-de-Haut, les Saintes

Quatre jours aux Saintes. Plongée sur l’épave devant Terre-de-Haut, balades en ville, excursion à l’îlet à Cabrit, ti-punch-accras avec les copains. Une journée-vidange, aussi. Pour le plaisir.

Avons laissé tombé l’idée d’aller à Marie-Galante. Ça n’est pas faute d’avoir insisté… J’ai fini par me ranger de l’avis du capitaine (et de tout le monde, d’ailleurs): trop de vent en ce moment (jamais moins de 20 nœuds) et complètement de face pour aller là-bas (plein Est). Ai rangé mon guide du Routard au placard. Depuis les tout premiers bords de ce voyage il y a bientôt un an, en Galice je m’en souviens, j’ai bien compris que le programme, c’était le vent qui le faisait.

Demain, pour l’anniversaire du capitaine, on s’offre un nouveau pays.

 

Antigua – La Dominique via la Guadeloupe: cap au Sud pour échapper aux cyclones!

 

14 mai 2022, 21h30 – Mouillage de Portsmouth, Dominique

Tisane sur le roof de Jade. Lumières d’une ville de 3 000 habitants et d’une vingtaine de bateaux au mouillage. Le vent est tombé. Quasi-pleine lune qui blanchit les nuages, par transparence.  Ce soir, les montagnes devant nous ne sont qu’une ombre, et doublement: elles sont à la fois noires, et encore totalement inconnues de nous. Étions vannés, cet après-midi, après une navigation encore une fois pluvieuse et pleine de grains (granuleuse…?): n’avons pas mis le pied à terre. La Dominique, drapée dans ses ténèbres, semble nous attendre. Pourtant elle s’en fout. Les pays n’attendent jamais les voyageurs. Leurs montagnes sont immuables et nous rient au nez, à nous qui passons.

 

15 mai 2022, 23h30 – Mouillage de Portsmouth

Ce soir, c’était barbecue sur la plage. Rhum-punch (comme ils disent ici), poulet et poisson grillé à volonté, le tout organisé par la Portsmouth Association of Yacht Services (PAYS), qui gère le mouillage dans la baie. Moyennant une trentaine d’euros Lawrence, notre contact à l’association, s’est également occupé de notre clearance. Rien eu à faire. Une bande de rastas qui nous prend sous son aile, le temps d’un séjour. Accueillis comme des rois, quoi.

Aujourd’hui donc, avons découvert la Dominique un dimanche. Comme Christophe Colomb il y a un demi-millénaire – d’où son nom, d’ailleurs. Sur la demi-heure de marche qui nous séparait du distributeur de billets, avons discuté avec Nicholas, Marian, Julian,  Joseph et Johnny. Le premier nous a invités à manger dans son restaurant un de ces quatre, la seconde nous a montré ses peintures sur bois. Un dernier nous a vendu un corossol – que nous ne savons pas préparer, mais on va s’en sortir.

 

 

16 mai 2022, 9h35 – Mouillage de Portsmouth

Ça a soufflé 20 à 25 nœuds toute la nuit. Ce matin, ça continue. La baie de Portsmouth est toute moutonnante.

Hier, avons plongé sur notre mouillage pour vérifier que tout allait bien. L’ancre est bien accrochée. Par contre, la chaîne s’est arrangée pour passer pile-poil sous un ancien corps-mort abandonné: un énorme pneu surmonté de poutres en bois, aujourd’hui investi par les rascasses. Quand le vent sera tombé, essaierons de nous dépatouiller de tout ça. En attendant, dans cette baie jonchée de trucs, avons vu notre première raie-léopard.

 

 

17 mai 2022, 20 heures – Mouillage de Portsmouth

Aujourd’hui, tour en voiture dans la moitié Nord de l’île avec Winston, 74 ans, chauffeur-guide. Il nous explique dans un français impeccable – mâtiné de « w » créoles, cela va de soi – que ça mère lui a donné ce prénom à cause de Churchill. Nous n’en saurons pas plus. Winston a six enfants de cinq femmes différentes – et consécutives. Il s’appelle Winston François car son grand-père était de Guadeloupe et que, comme son île, il ne sait pas choisir entre l’anglais et le français. C’est que personne n’a jamais réussi à s’imposer dans ce pays de montagnes en pointe et de forêts denses. Aujourd’hui, ça donne un Fresh Water Lake au pied d’un Morne des Trois Pitons. On ne sait plus où on habite.

C’est cette nature qui a permis, pendant des siècles, aux indiens caraïbes de résister aux colons. Les Kalinagos, comme ils se nomment eux-mêmes, sont aujourd’hui 3 000 en Dominique: la plus grosse communauté d’indiens aux Caraïbes. Depuis le XVIIIème siècle, ils vivent regroupés dans une réserve sur la côte Nord-Atlantique de l’île, le coin le plus isolé, le plus austère. Ils y ont leur propre système de gestion, avec un chef local, sur des terres qu’ils partagent et qui sont, pour eux, gratuites. Un village-musée  retrace leur histoire et montre, sous la forme de quelques carbets de bois et de paille, la manière dont ils vivaient. Aujourd’hui mélangés, métissés au reste des Dominicains, ils en représenteraient environ 3%. Ils restent pourtant la population la plus pauvre d’une île qui compte 30% d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté…

Nous voulions voir la réserve indienne. Nous l’avons vue. Ses maisons vétustes, son musée vide. Sa route en travaux – en cours d’élargissement, nous dit Winston – qui longe une côte battue par les vents, aux baies blanches emplies d’embruns – et de sargasses. Sur la côte Caraïbe, par laquelle nous retournons vers Portsmouth, la route est large et le soleil, doré. Les villages sont plus grands. Sur les bas-côtés, certaines collines sont déboisées, éventrées par des carrières. Le sable et les graviers charriés par les 365 rivières de l’île (une par jour, comme pour les plages d’Antigua) emplissent à ras-bord deux barges qui attendent à la bouée, direction la Martinique. De ce côté-ci, pour le meilleur comme pour le pire, la vie reprend son cours.

 

 

18 mai 2022, 13h20 – Mouillage de Portsmouth

Aujourd’hui est la veille d’un grand jour: nous allons marcher (pendant six heures a priori difficiles) jusqu’au deuxième plus grand lac bouillant du monde! Aujourd’hui donc, préparation physique et mentale. On ne fait RIEN.

 

19 mai 2022 – Le récit détaillé de notre excursion au Boiling Lake, c’est en cliquant ICI.

 

20 mai 2022 – Mouillage de Portsmouth

18 heures – Aujourd’hui, journée récup. On compte les barques à moteur qui traversent la baie. Peint sur le flanc, toujours: « P.A.Y.S., VHF 16 », puis « Charlie », « Titus », « Albert ». Tous les guides de l’association. Et puis bien sûr, « Lawrence of Arabia ».

Avons marché dans Portsmouth ce matin, gratté la coque de Jade cet après-midi. Sous l’œil inquisiteur (et insistant) d’un bon gros barracuda.

 

Pas rassurant, notre ami Nicolas (le barracuda)...
Pas rassurant, notre ami Nicolas (le barracuda)…

 

22h30 – Demain, nous quittons Portsmouth. Hésitions à faire une halte à Roseau, la capitale du Sud, mais venons d’apprendre ce soir, autour d’un verre à bord du voilier de Nathalie et Laurent, rencontrés il y a quelques semaines à Sainte-Anne, qu’il nous faudrait une autorisation spéciale – que nous n’avons pas demandée. Départ à l’aube, donc, pour tirer directement jusque Saint-Pierre. Welcome back en Martinique.

 

21 mai 2022 

7h20, sortie de la baie de Portsmouth – Jeu de lumières et nuages sur les dômes de la Dominique. Le Mont Diablotin, point culminant de l’île, est noyé dans un gris épais. Le long de la côte toute verte, très peu d ‘habitations. Les Dominicains sont 70 000 sur leur île – à titre de comparaison, les îles voisines de Guadeloupe et de Martinique en comptent chacune environ 400 000. Aucune maison, là, sous mon regard. Deux frégates font de grands cercles dans le ciel. Un peu ce que Christophe Colomb devait voir en arrivant.

Sommes au moteur. Pas de vent. Peut-être pour toute la première moitié du trajet, le long de la côte-sous-le-vent de la Dominique. Sommes partis en évitant soigneusement de s’emberlificoter la chaîne dans le corps-mort abandonné. Manœuvre aux petits oignons. Heureusement que nous avions plongé, pour voir.

10h30 – Passons devant la Soufrière – hé oui, la Dominique a aussi la sienne. Je repense aux fumerolles du Boiling Lake sortant de terre… Les Antilles sont un paradis, certes, mais un paradis violent. Tout peut y basculer en une fraction de secondes. Eruption volcanique, cyclone… Ceux qui habitent ces îles ont une épée de Damoclès constamment au-dessus de la tête. Saint-Pierre, où nous serons ce soir, nous le rappellera encore.

Le vent commence à monter, par paliers. On sent une houle légère. Le bout de la Dominique est maintenant à trois milles devant nous. Il est 10h30 et Christophe m’a conseillé de déjeuner: après, dans le canal, ça risque d’être plus compliqué… Je pose le stylo.

13h30 – Passons la ligne imaginaire du 15ème parallèle. Celle en-dessous de laquelle il nous faut descendre pour début juin, cyclones obligent. C’est maintenant chose faite.

15 heures – Majestueuse Montagne Pelée. La tête, toujours, dans les nuages.

 

Dernières images de la Dominique.
Dernières images de la Dominique.

2 Comments

  1. Tout est plaisant à lire. Très intéressant le chapitre sur les indiens Kalinagos , on en apprend tous les jours.
    Concernant l’autorisation spéciale évoquée, je suppose que c’est du protectionnisme mal placé non?
    Au plaisir de vous lire et meff à la météo, bisesss à vous deux

  2. Effectivement la Dominique du souvenir que j’en ai c’était ambiance ganja rasta….inutile de reconstruire, le prochain cyclone remettra tout par terre, et des gens super accueillants.

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