En Dominique, excursion au 2ème plus grand lac bouillant du monde
On nous avait dit qu’après ça, les jambes tireraient un peu. On ne nous a pas menti. Niché à 800 mètres d’altitude au cœur du massif des Trois Pitons, au Sud de Dominique, le Boiling Lake se mérite. Et il bout pour de vrai.
La première fois que nous en avons entendu parler, la Dominique était encore loin. C’était à Malendure, en Guadeloupe. Le cata-copain MissTer nous avait invités, avec les amis d’Ile Segal, à vernir boire un verre à son bord. Un ti-punch à la main (comme il se doit), une tartine de rillettes de marlin dans l’autre, ça parlait Caraïbes, météo, mécanique. Conversation de bateau classique, quoi. Dans leur remontée vers le Nord de l’arc antillais, les deux catamarans amis s’étaient arrêtés en Dominique. « Là-bas, il faut absolument que vous fassiez un tour à la Emerald Pool, à la chocolaterie de la Pointe Baptiste, puis sur la côte atlantique, et puis, et puis… et puis le Boiling Lake ». Sur le moment, je n’y fais pas attention. Mais quelques minutes plus tard Adeline, qui est une aficionada de randonnée, revient à la charge : « le Boiling Lake c’était magnifique, mais j’ai quand même regretté d’y avoir emmené les filles. C’était super dur. On avait mal aux jambes, de la boue partout… Je m’en suis un peu voulue ». Et là, enfin, je tilte. « Boiling Lake… Comme un lac bouillant, tu veux dire ? ». Parfaitement. C’est ce qu’Adeline veut dire. De ce moment-là, l’idée d’aller marcher jusqu’à un lac de 60 mètres de diamètre en ébullition au milieu des montagnes de m’a plus quittée.
19 mai 2022. Il est 5 heures du matin, la baie de Portsmouth s’éveille à peine. Hier Lawrence, de la Portsmouth Association of Yachts Services (PAYS) nous a confirmé l’excursion pour aujourd’hui. « Vous prenez de bonnes chaussures, hein ? Pour marcher là-bas, il faut des tout-terrain. Et puis pas trop lourd, le pique-nique : faut pouvoir faire le retour, après. D’ailleurs, ne prévoyez rien pour le lendemain, vous aurez besoin de repos ».
J’ai mal dormi. J’appréhende. Hier soir, tout a été méticuleusement préparé sur la table du carré. Ce matin nous embarquons tout ce bardas en annexe, avec en prime deux bouteilles de gaz vides que nous pensons pouvoir faire remplir à Roseau, la capitale – ce qui s’avérera impossible à cause des embouts de nos bouteilles, qui ne correspondent pas à ceux d’ici. Sur la plage de la Purple Turtle, le chauffeur est bien là : Oncle Sam, nous-dit-il. Il parle un français impeccable. Dix minutes plus tard, à l’angle de deux rues du centre-ville de Portsmouth, nous récupérons le guide qui marchera avec nous : James. « Appelez-moi James Bond », commence-t-il d’emblée, puis il va s’écrouler sur la banquette arrière du véhicule. Lawrence est là aussi : « je vous laisse, vous êtes entre de bonnes mains ». Avec James Bond et Oncle Sam, nous n’en doutons pas une seconde.
Le long de la route: la Dominique
Nous avons une heure et demie de route jusqu’au départ de la randonnée. Notre mini-bus longe la côte caraïbe, ponctuée de petites baies dorées, de villages colorés. Sam nous explique : « là, ça a été détruit par la tempête Erika ; là, c’est le cyclone Maria ». Un pont sur deux que nous passons est neuf – l’ancien gît à côté, réduit à néant. Sur le bord de la route, un panneau posé à terre attire mon regard, peint à la main : « hurricane season is here, are you ready ? ». Pour nous l’arrivée de la saison cyclonique, en juin, signifie redescendre l’arc antillais pour se positionner, comme notre assurance l’exige, au-dessous du 15ème parallèle – qui passe entre la Dominique et la Martinique. Pour les dominicains elle signifie destructions, glissements de terrain, refuge dans l’un de ces grands bâtiments en béton vide construits par le gouvernement, que nous croisons régulièrement sur le bord de la route. A l’arrivée sur Roseau, un petit cargo échoué tout contre la route nous rappelle les dégâts passés, nous parle déjà de ceux à venir. « La Martinique et la Guadeloupe nous aident beaucoup, à chaque catastrophe », précise Sam. « En 2017, après Irma, on avait préparé des bateaux pleins d’eau et de nourriture pour l’île de Barbuda, qui a totalement été détruite par l’ouragan. Une semaine après, on se prenait Maria. Les bateaux sont restés ici ». Une grande fresque en couleurs me revient en mémoire, vue sur le bord de la route il y a deux jours, côté Atlantique : « Dominique, île de la résilience ».
Au bout d’une heure et quelques embouteillages, Sam oblique à gauche, vers la montagne. Nous passons devant un immense hôpital en construction : le Dominica-China Friendship Hospital. Ça n’est pas la première fois que nous croisons l’aide chinoise, ici. Partout, l’on voit aussi des bâches siglées de l’aide américaine, USAID. Parfois, une plaque de la République française vient rappeler notre propre contribution. Au détour d’un virage, Sam s’arrête pour nous montrer, au loin, la chute de Trafalgar qui dévale la montagne. Bientôt les maisons disparaissent. Des feuilles immenses débordent gentiment sur la route. Ici commence le royaume des fougères arborescentes.
La route traverse un tout dernier village, dont elle ressort défoncée. Elle continue pendant un kilomètre, longe une station d’électricité, s’arrête. Nous sommes à Titou Gorge. Un panneau annonce : « Bienvenue au Boiling Lake Trail. Six heures de marche aller-retour. Guide professionnel recommandé. Pas de départ après 10h du matin ». Nous serrons la main de Sam, que nous retrouverons dans quelques heures. James s’étire, troque ses tongs pour des baskets. Tout le monde est prêt.
Une balade de toutes les couleurs
Tout de suite, c’est la forêt. Une forêt haute, dense, humide. Verte de plein de façons différentes. A terre, on a creusé des marches dans certains rochers, entreposé des rondins de bois par-dessus les plus grandes mares de boue. Nous avons de la chance : il n’a pas plu depuis deux jours. Le dénivelé est faible, notre avancée est plutôt rapide. Mais James a prévenu : « la première partie, je vous la fais en chaise roulante si vous voulez ».
Au bout d’une heure, nous atteignons une rivière. Nous sommes au fond d’une première vallée. Première pause, première barre de céréales. Attaque en règle de tous les moustiques du coin. Nous ne nous attardons pas.
La seconde partie du trajet, c’est une montée à pic pendant une demi-heure. Objectif : le point culminant de la balade, Morne Nicholls. Ici aussi, des marches ont été taillées dans le chemin. L’effort est intense, mais pas trop long. Arrivés là-haut, nous sommes sur une ligne de crête : à notre droite, la ville de Roseau en contrebas, devant la mer des Caraïbes noyée dans une brume blanche ; à notre gauche, les pics des Trois Pitons – et plein d’autres que James ne sait pas nommer. Un rayon de soleil vient caresser tout ça juste au bon moment. La brume se dissipe dix secondes, quelques nuages bas persistent. A bien y regarder, ce ne sont pas des nuages. James pointe son doigt vers un petit monticule, là en bas, duquel s’échappent des volutes de fumée blanche. « C’est là qu’on va ».
Ici commence la Vallée de la Désolation. J’ai demandé à James, au départ du chemin, pourquoi elle s’appelait comme ça. Il m’a dit « tu verras, et tu comprendras ». La descente est raide, caillouteuse. Les bâtons de marche nous gênent : nous les attachons vite au sac et les échangeons contre une bonne paire de mitaines. Certains passages frôlent l’escalade – gentille, l’escalade, mais tout est question d’habitude. A l’idée du chemin du retour, mes cuisses et mes mollets tirent déjà. Tout à notre effort, nous n’avons pas vu venir le changement. Celui des couleurs, des odeurs. De la température, aussi. Nous sommes entrés en territoire volcanique.
Le soufre assaille nos narines. C’est d’abord lui, que l’on perçoit. Puis c’est la roche : des coulées noires, rouges, orange, jaunes. Mélangées à l’eau, elles dessinent des œuvres d’art, créent de nouvelles textures. Ici, un tableau liquide, abstrait. Là, des écailles de tortue. Au milieu de tout cela, quelques plantes parviennent à pousser. La rivière a viré au gris-noir par endroits, au bleu turquoise à d’autres. Elle a mangé la pierre sous elle, devenue blanche comme la chaux. Elle fait des bulles. Le guide du petit couple d’allemands partis en même temps que nous a déposé un sac plastique au milieu du flux de l’eau, et attend. Il fait bouillir des œufs dans la rivière pour le déjeuner.
Je ne sais plus où donner de l’appareil photo. C’est impressionnant, c’est beau. C’est la première fois de ma vie que je vois ça. Au bout de dix minutes, James se décide à intervenir : « il faudrait qu’on avance, Stella. On fera les photos au retour ». Il nous reste une bonne heure, encore, avant d’atteindre le lac. Une heure dans les cailloux glissants, une heure à traverser et retraverser, à gué, la rivière chaude. Une dernière petite montée se profile, James nous laisse passer devant. L’élégance du guide : s’éclipser pour que le client découvre, comme seul au monde, l’étendue du spectacle. Le lac bouillant. Noir et fumant.
J’ai quand même bien fait de prendre mes photos. Au retour, la lumière est moins belle. Comme prévu, les jambes font mal. On découvre des douleurs que l’on n’avait jamais ressenties. James, en guide consciencieux, choisit ce moment de léger coup de mou pour se mettre à chanter. Du Bob Marley, son chanteur préféré – comme tout le monde, semble-t-il, sur cette île. Au dernier passage de la rivière bouillante, il s’attarde au-dessus du courant, se penche sur une grosse pierre crayeuse. Tout le monde saura qu’on est passés par là.
Très bien raconté et me laisse des regrets . J y suis allé il y a pas mal de lustres et j ai loupé cette ballade.
Bravo
On loupe toujours quelque chose, de toute façon… Mais on en voit plein d’autres!
Bises.
il ne manque que les odeurs ….merciiiiiiiiiiiiiiiiiiii mille fois à nouveau pour la description de cette rando.
Suis surprit que les bâtons sont une gêne lol? vivement la suite lol bisesss à vous deux b.
Merci 3B, c’est toujours un plaisir de répondre aux petits mots que tu nous laisses! Les bâtons de marche sont devenus inutiles (voire gênants) uniquement dans la partie la plus raide et caillouteuse du parcours, où il fallait s’aider de ses mains pour progresser… Mais le reste du temps, ils ont été d’une grande aide!
On t’embrasse.
C’est très émouvant pour moi de revivre cette rando avec tes yeux, Estelle… c’est incroyable comme le lac est noir, nous on l’a vu plutôt gris clair. J’ai l’impression que la balade vous a plu…! Bonne continuation à vous 2,
Adeline et Misster family
Merci Adeline! Nous avons effectivement beaucoup aimé cette rando. Et comme c’est un peu grâce à toi qu’on l’a faite… doublement, merci! Bises à la ptite famille.
Couleurs des pierres, de l’eau, ce bouillonnant naturel et inquiétant, l’impression d’être sur une autre planète. Grâce à tes mots, Estelle, j’ai monté avec vous et ressenti ce spectacle étonnant ! j’en sors fatigué mais émerveillé 🙂
Merci papa! Il faudra que tu reviennes marcher aux Antilles, maintenant que la Dominique est de nouveau ouverte aux touristes!
Il semblerait que le boiling Lake de La Dominque soit le 2 lac bouillonnant avec une température de 82 ° C et une profondeur inconnue à ce jour, le premier étant le Frying Pan Lakee de Nouvelle Zélande mais lui aurait dés origines volcaniques. Qu’en est il du Boiling Lake ?
Merci pour vos reportages que je commenterai plus tard.
Hello Michel! Effectivement, le Boiling Lake de Dominique a lui aussi une origine volcanique.