Objectif Gambier

Huit jours en mer: cela faisait plus d’un an que nous n’avions navigué aussi longtemps. Huit jours au près: pour la première fois, Jade teste cette allure sur temps long… Elle s’en sort plutôt bien, et nous permet de gagner un quart du trajet retour vers le Chili! 

 

 

 

 

 

12 septembre 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

22 heures – Le cœur serré, ce soir.  Jusqu’à nos dernières heures à Tahiti, nous aurons eu des amis à bord. Ce matin, alors que nous nous levions pour la dernière fois de notre chaise en terrasse de La Petite Maison rue de Nice, où nous prenons notre cappuccino quasiment tous les jours, la jeune serveuse avait les larmes aux yeux. Nous aussi, du coup.

On peut toujours se dire qu’on reviendra. Mais que ce soit dans un an, deux ans, dix ou trente, Papeete ne sera plus jamais la même. Les gens seront différents, la ville sera différente. Le contexte sera autre. Nous aussi, nous aurons changé. La Papeete que nous avons encore sous les yeux pour quelques heures, c’est bien la dernière fois que nous la voyons.

« Partir, c’est mourir un peu […] / On laisse un peu de soi-même en toute heure et en tout lieu […] / Et l’on part, et c’est un jeu, / Et jusqu’à l’adieu suprême / C’est son âme que l’on sème / Que l’on sème à chaque adieu ». – Edmond Haraucourt

 

Pour cette longue navigation qui nous attend, je reprends les bonnes habitudes et nous prépare deux plats (un chaud, un froid) pour les premiers jours (le temps de s’amariner). Aujourd’hui: cake au thon et chili con carne!

 

14 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 2

11h30 – Je revis ! Pour la première fois depuis que nous avons quitté Tahiti il y a 24 heures environ, suis capable d’ouvrir ce carnet, de tenir un stylo et d’écrire quelques lignes.

Le départ de Papeete fut émouvant. Les copains étaient là, certains avec les colliers de coquillages de circonstance. Ça n’était pas du tout prévu. L’émotion m’a surprise. En leur faisant signe de la main depuis le chenal, je me suis revue faire le même geste il y a trois ans, au départ de La Rochelle. Les copains sur le ponton, pareil, la gorge nouée, pareil. Et Jade et nous qui quittons tout cet amour pour l’inconnu.

Avons contourné Tahiti par le Sud-Ouest, afin (pensions-nous) de ne pas avoir à affronter 25 nœuds de vent de face dès l’entrée de jeu. Ce choix de trajet nous a effectivement permis de repousser l’échéance. De quelques heures, seulement. Le temps d’avaler sommairement un déjeuner qui s’est retrouvé à nourrir les poissons en un rien de temps. J’avais pourtant pris un cachet.

Avons passé tout ce premier après-midi avec 25 à 30 nœuds de vent au près (à 50 degrés environ). Le maraamu dans toute sa splendeur. C’est précisément ce que nous voulions éviter en restant quelques semaines de plus à Tahiti : du vent fort dans le pif. Christophe n’a pas été malade, bien qu’il ait dû faire attention. Pour ma part, j’ai passé tout ce temps un saladier entre les mains, que je re-remplissais du contenu de mon estomac (de plus en plus réduit, certes) toutes les deux heures. La nuit fut plus tranquille : 15 à 20 nœuds de vent, toujours au près. Mais pour l’estomac du Second, le mal était fait et l’a suivi jusqu’à la fin de son dernier quart.

Ce matin, c’était réveil sous la pluie. Le vent souffle à présent 15 petits nœuds fort sympathiques. Et de secteur Nord, s’il vous plaît ! Jade file à 6 nœuds de vitesse, cap direct sur les Gambier. Ciel couvert mais houle gentille, nos estomacs commencent à se détendre. J’ai pu avaler deux parts de pizza – reliefs de notre dernière soirée entre amis à Papeete. La fête, quoi !

 

Quand les estomacs commencent à aller mieux, on retrouve le sourire! On the road again...
Quand les estomacs commencent à aller mieux, on retrouve le sourire! On the road again…

 

20h30 – Viens de commencer mon quart. Enfin, au bout de 36 heures de navigation, je me sens à nouveau moi-même. Chaque fois, lorsque la houle me surprend après plusieurs semaines à terre, le même processus : d’abord le corps qui se crispe, les muscles, les mâchoires, le cerveau, l’esprit qui se recroqueville sur lui-même pour laisser passer la tempête, qui se concentre à outrance, « attention, ne vomis pas, ah bin si, vomis alors, non attention pas face au vent, aller remets-toi, vite si possible, et tache de ne pas recommencer, en tous cas pas tout de suite, car souviens-toi, tu l’as vécu, après ça ne peut plus s’arrêter, tu ne seras plus bonne à rien, remarque vu où on en est… ».  Et à un moment, pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre, peut-être parce que la mer est tombée un tout petit peu, ou parce qu’on a dormi 20 minutes, ou parce que l’habitude, le corps, enfin, se décontracte. Muscle par muscle, et quand c’est bon, le cerveau lui emboite le pas, neurone pas neurone. Enfin l’esprit peut s’intéresser à autre chose qu’à lui-même.

Alors seulement, on regarde à nouveau l’Autre, lui qui n’a pas été malade, lui qui surtout, pendant tout ce temps, en silence, geste après geste, discrètement presque, a pris soin de vous. On a envie de lui sauter au cou, de lui dire merci mille fois, « désolée merci désolée merci » mais il dort. On se promet de le faire au changement de quart.

Alors seulement on lève les yeux, on réalise que le voile de nuages s’est déchiré et que les étoiles sont là.

 

15 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 3

2h30 – Second quart. Ça pique. Le moment le plus dur de la journée – maintenant, on le sait. Le vent ne dépasse pas 4 nœuds. Jade, au moteur sous la lune, fend une mer plate aux reflets de satin. Dans son mouvement, elle dégage sur chaque bord des vaguelettes de plancton luminescent. Une légère brume s’est abattue sur la mer. La forte lumière de la lune presque ronde, là-haut par-dessus le brouillard, ferait presque voir des fantômes.

 

Le seul bateau que nous croiserons en huit jours: Diabolo, un catamaran en route lui aussi vers les Gambier, dont nous ferons la connaissance une fois sur place.
Le seul bateau que nous croiserons en huit jours: Diabolo, un catamaran en route lui aussi vers les Gambier, dont nous ferons la connaissance une fois sur place.

 

11 heures – Tous ces amis que nous avons laissés derrière nous…. Certains rencontrés à Tahiti, d’autres ailleurs, en bateau souvent, au fil du voyage… Déjà, par deux fois, avons dû faire face à des séries d’aurevoir : d’abord lorsque nous avons quitté l’Europe pour Madère et les Canaries, laissant derrière nous ceux qui continuaient à naviguer autour du Vieux Continent ; aux Antilles, ensuite, lorsque nous avons salué tous ceux qui rentraient après un tour de l’Atlantique, alors que nous continuions vers l’Ouest. Aujourd’hui, beaucoup d’amis plaisanciers de Tahiti ont décidé d’arrêter là leur voyage, au moins pour un temps. D’autres ont continué vers l’Ouest du bassin Pacifique : Tonga, Samoa, Fidji, Nouvelle-Zélande. N’avons croisé que trois bateaux engagés cette année dans un programme similaire au nôtre, mais sur des timings souvent différents… Pas si sûr que nous nous croisions dans les canaux patagons. D’année en année, d’étape en étape, de plus en plus seuls.

17h30 – Un peu de vent, enfin ! Dès que le vent réel dépasse les 10 nœuds, pouvons envisager de hisser les voiles. Alors lorsqu’il monte à 12, c’est le grand luxe ! Jade avance à 5 nœuds de vitesse, à 40 degrés du vent. Elle nous épatera toujours, notre Jadounette ! Certains nous avaient dit que nous n’avions pas un bateau pour faire du près, que cette route Tahiti-Chili risquait d’être un calvaire… Il nous semblait pourtant que nous avancions de façon correcte, à la journée entre les îles des Antilles… Hé bien Jade tient tout à fait la route au près, et sur temps long ! Le capitaine me dit que lui n’en doutait pas. Moi, je m’extasie.

20 heures – Entamons cette troisième nuit dans le silence retrouvé du bateau glissant sous voiles. Une lune radieuse veille sur nous. Seul ombre au tableau : le capitaine ne se sent pas bien, fiévreux. Indigestion passagère ou effet de l’infection au doigt qu’il a depuis quelques jours ? La veille de larguer les amarres, j’ai rêvé que nous ajournions notre départ pour qu’il puisse se rendre aux urgences… Aurions-nous dû suivre les appels de mon inconscient ? Christophe prend soin de son doigt gonflé, mais il ne dégonfle pas… Ce matin, il est passé aux antibios. Une bête infection au doigt, en mer pendant une semaine, peut prendre des proportions démesurées.

Repose-toi, mon capitaine. J’ai bien dormi aujourd’hui, le mal de mer m’a quitté, suis d’attaque pour assurer seule la veille de cette nuit s’il le faut.

2h30 – Après trois jours en mer, ça y est, notre espace cérébral s’est adapté, et rétréci. Le nombre de nos préoccupations quotidiennes s’est considérablement réduit, concentré sur l’essentiel. D’abord : sommes-nous en sécurité (le bateau est-il bien réglé par rapport aux conditions ? Aucun gros souci technique en suspens ?) ? Ensuite : sommes-nous en bonne santé (plus de mal de mer ? Dort-on à peu près bien ? Mange-t-on comme il faut ? Mince, une infection : avons-nous fait tout ce que nous pouvions d’ici à ce que Christophe puisse voir un médecin ?). Une fois ces deux séries de questions résolues pour l’un et pour l’autre, alors on peut passer au superflu : cuisiner, lire, faire quelques étirements… s’occuper, quoi.

 

Le quotidien sous voiles au près, dans la grisaille. On avance bien!

 

16 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 4

19h30 – Moi qui suis déjà facilement d’humeur changeante à terre, je crois que la navigation force le trait. Malheureusement. Dans le plat relatif des journées et des nuits qui se suivent, le moindre événement suffit à me rendre euphorique, ou ombrageuse. Un passage à la voile juste avant le coucher du soleil : ô joie du silence retrouvé, de la sensation de glisse facile du bateau sur la vague ! Ce soir, toujours à la voile pourtant, inquiète de voir le doigt malade du capitaine toujours rouge et enflé… Il me dit qu’il fait tout ce qu’il faut, qu’il a moins mal… tout en prenant soin de cacher le doigt fatidique à mon regard. Ce soir, il a incisé. Ce genre de trucs, ça me met dans tous les états.

Allons surveiller cela attentivement. Dès l’arrivée à Rikitea : mairie, gendarmerie, puis taote. On se rassure comme on peut.

 

17 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 5

4h20 – Nous nous trainons à 2-3 nœuds de vitesse depuis le début de mon second quart. Ce qui ne serait rien si nous faisions le bon cap. L’étrave de Jade pointe plein Sud. Cherchez l’erreur.

Joie des navigations au près. Le vent ne nous permet pas, cette nuit, de faire mieux. Retardons le plus possible l’allumage du moteur, car au vu des prévisions météo, une fois en route, il risque de tourner un bon moment.

 

En rouge: la ligne droite Tahiti-Gambier. En blanc: notre route. En vert: le dernier routage préconisé par notre logiciel de navigation.
En rouge: la ligne droite Tahiti-Gambier. En blanc: notre route. En vert: le dernier routage préconisé par notre logiciel de navigation

 

Midi – Quand faire une salade pour le déjeuner devient un parcours du combattant : trouver un plan de travail sur lequel pouvoir caler la planche à découper, couper les légumes sans se couper un doigt, faire cuire quelques haricots (pour ne pas les perdre) dans une casserole remplie à ras bord et qui tangue, et surtout, surtout, ne pas s’ébouillanter pendant la phase finale.

J’avais tout de même attendu une journée « calme » pour me lancer. Sommes à la voile, au près mais sans houle. Qu’est-ce que ce sera lorsque nous serons en route pour le Chili, certainement au près en début de parcours, et probablement avec quelques vagues pour pimenter l’ensemble ?

Cette navigation vers les Gambier est un excellent test. J’apprends, je m’y prendrai différemment : plus de produits frais déjà coupés, déjà cuits. Ça tombe bien, nous avons fait nos premières conserves il y a quelques semaines, et sommes partis de Tahiti avec une machine de mise sous vide, offerte par une amie. Y’a plus qu’à.

16 heures – Venons de passer au moteur. 5 nœuds de vent, à peine. Avons retardé l’échéance au maximum. Conséquence directe de cette pétole qui risque de nous suivre jusqu’à l’arrivée : il nous faudra refaire un plein aux Gambier. Pas obligatoire (nous avons un réservoir suffisant), mais ce serait mieux. Or, de ce qu’on nous a raconté du ravitaillement en gasoil aux Gambier, la chose est loin d’être évidente…

 

Salade-de-la-mort et pleine lune.

 

18 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 6

1h30 – Je prends mon second quart. En allant se coucher, Christophe qui a passé son quart dans le cockpit me dit « j’ai froid ». Un œil au thermomètre : 23 degrés. C’est bien l’Antarctique, le but ?

Les Gambier devraient nous faire un petit sas de transition vers le plus frais. Côté air, et côté eau. Après ce sera le grand saut vers la froidure, la vraie.

4h45 – Sommes toujours calés sur l’heure de Tahiti. Depuis hier, à la toute fin de mon second quart, j’assiste au lever du jour.

11 heures – TERRE ! C’est l’événement du jour (et je ne suis pas peu fière de l’avoir vue en premier). Ça n’est pas encore la Terre que nous visons, mais quand même. Il trônait fièrement au milieu de la carte et nous nous y attendions : le petit atoll de Tematangi aligne ses rangées de cocotiers dans la lunette de nos jumelles. Petit sur le papier, mais grand en vrai.

Starlink nous permet de nous renseigner en direct : Tematangi est un atoll privé, ayant appartenu un temps à un religieux, aujourd’hui propriété d’une SCI… Pour y faire quoi ? Mystère. Distinguons un feu sur la plage : habitants innocents faisant brûler quelques palmes de cocotiers, ou naufragés implorant de l’aide au premier voilier aperçu depuis six mois ? Tranchons pour la première option. Dans le doute et sans aucune chance d’être vus, on fait coucou.

12h35 – Tomber, sans l’avoir cherché, sur une terre blanche et verte après cinq jours de bleu infini.

 

Notre passage près de l’atoll de Tematangi nous permet de tester notre alarme radar… (à voir plus bas en vidéo)

 

15h30 – 24 heures que nous sommes au moteur, Christophe stoppe les machines. Objectif : les laisser refroidir un peu, et refaire une vérification des préfiltres à gasoil (depuis notre mésaventure de l’année dernière à Nuku Hiva, voir ici, nous y sommes particulièrement attentifs). Jade se laisse gentiment balloter (et dériver) par la longue houle du Pacifique. L’occasion de faire un plouf est trop belle. Je saute dessus. Le fait d’avoir fait couper notre échelle de jupe arrière à Papeete nous permet à présent ce genre de petites folies sans avoir à bouger l’annexe du portique.

15h45 – Elle est fraiche. Délassement instantané. J’essaie de ne pas trop penser aux monstres des abysses qui batifolent nécessairement quelque part sous mes pieds. 4 000 mètres. Ça en fait, des troupeaux de monstres. Je me concentre sur les longues ondulations bleues, étincelantes sous le franc soleil, à l’infini… Quelle proportion de l’humanité n’a jamais eu l’occasion de vivre cela ? Je ferme les yeux. La fraîcheur du grand océan s’infiltre par tous les pores de ma peau. Depuis le début de cette navigation, jamais je ne me suis sentie aussi bien.

17h30 – On sort les polaires. On se surprend à parler Patagonie devant notre ti-punch. « Quand on partira des Gambier, il faudra avoir sorti les pantalons, les couettes… ». Révolution de garde-robe.

18h30 – Pour la première fois depuis une semaine, au moment de refaire son pansement, l’annulaire gauche du capitaine a dégonflé. Décidément : une belle journée.

 

Bain, check moteur et coucher de soleil bien couverts.

 

19 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 7

3 heures – Une tisane, un petit gâteau, et la compagnie d’Herman Melville qui découvre les Marquises en 1848 : ma récompense pour m’être, encore une fois, extirpée de la couchette en plein sommeil.

19h15 – Lever de pleine lune sur notre bâbord avant. Une grosse citrouille aplatie émerge de la plane surface des flots et, de minute en minute, s’envole.

Ce soir, nous sommes tous les deux à regarder ce spectacle attentivement, et pour cause : cherchons à identifier le moment à partir duquel la luminosité de la lune pourra nous aider, demain, à pénétrer dans le lagon des Gambier. Nous évitons, autant que faire se peut, les arrivées de nuit – a fortiori dans des lieux inconnus. Mais notre logiciel de routage, qui nous prévoit encore une journée de moteur demain (donc à vitesse constante), nous fait arriver en début de soirée : aurons-nous la patience, le courage, de faire des ronds dans l’eau pendant toute une nuit dans l’attente des premières lueurs du jour ? Après une semaine de mer ? D’autant plus que des amis nous ont indiqué un mouillage relativement proche de la passe Ouest, a priori facile et pratique…

Telles étaient les réflexions du soir. Christophe est allé se coucher, entamons notre dernière nuit de quarts.

 

Journée typique au moteur, du lever du soleil (devant nous) à son coucher (derrière).

 

20 septembre 2024 – Traversée Tahiti-Gambier, JOUR 8

13h20 – TERRE ! Cette fois, c’est la bonne. Sommes à 35 milles de l’entrée du lagon. C’est bien pour ce soir.

15h30 – Regarder, pendant de longues heures sur le roof, une terre inconnue grandir au loin. D’abord le double pic des monts Duff et Mokoto, puis, moins haute, la silhouette dentelée de l’île de Taravai. Ces terres ne sont pour le moment que des ombres bleues sur la surface bleue de la mer, sous le bleu du ciel. Peu à peu, elles vont gagner en couleurs et en formes. Plus tard, cette nuit, elles gagneront en sons et en odeurs. Demain, lorsque nous poserons pied à terre, elles gagneront en âme.

« Se réveiller et se trouver dans un pays où l’on vient pour la première fois. On se frotte les yeux, qui sont rougis et fatigués. On voit trouble. Des hommes que l’on n’imaginait pas. On s’attache à eux. À force de les fréquenter, on ne fait plus qu’un avec eux. On s’en va. On se souvient d’eux quand on reste un temps chez soi, à l’heure où l’on se couche pour dormir ». – Nikos Kavvadias

 

TERRE EN VUE pour le dernier apéro de cette navigation… en polaires!

 

18 heures – Foncer à 6 nœuds dans le noir total vers un obstacle que l’on sait pertinemment être droit devant. Sommes-nous en train de faire une erreur ? Dans quelques milles, nous aurons les bouées pour nous guider. Hypothétiquement, la lune. Et au cas où, trois systèmes de cartes.

19 heures – Une loupiote rouge dans la nuit. Ouf, un repère.

19h15 – Deux bouées rouges : laquelle est celle qui marque l’entrée du lagon (la première) ? Laquelle est celle, que nous voyons complètement décalée, qui marque la suite du chenal (la seconde) ? Les îles sont pour le moment totalement invisibles, le noir qui nous entoure est total. A la jumelle, je compte : quatre secondes entre chaque série d’éclats. Pour les deux bouées, il me semble… mais je dois me tromper. Au casque, j’interroge le capitaine, qui a la carte sous les yeux : les deux bouées ont bien des périodes identiques, quatre secondes ! La première est censée avoir un feu isophase, et l’autre un feu à occultation… Hé mais les gars, vous croyez qu’à plusieurs milles et avec huit jours de nav’ dans les pattes, on voit la différence ?!?

19h30 – Jade entre dans le lagon. Suis à l’avant avec les jumelles, le capitaine est à la barre à l’intérieur. Les fonds passent en quelques minutes de 850 mètres à 50 mètres, puis très vite, 8 mètres. « Je vais baisser le régime moteur, ne sois pas surprise ».

19h45 – La lune est en retard. On n’y voit rien.

20h15 – La bouée verte censée indiquer l’endroit derrière lequel nous pouvons mouiller est invisible. Je vois une bouée verte devant, mais très loin. La tension monte. Et elle est où, d’abord, cette p… de lune ?!? Au projecteur, je finis par trouver la bouée, juste sur notre bâbord : la carte la dit éclairée, mais dans la réalité, elle ne l’est pas. Obliquons vers le mouillage.

20h45 – L’ancre est à l’eau. Juste au moment où nous n’avons plus besoin d’elle, la lune pointe son nez. Bonne nuit.

 

21 septembre 2024 – Mouillage d’Atituiti, Mangareva, Gambier

6 heures – Première chose qui frappe au réveil : le silence. Puis, une fois le nez dehors : le chant des coqs. La lumière, dorée, qui commence tout juste à se refléter sur les rochers, au-dessus de nos têtes. Tout là-bas, le blanc d’une petite église qui brille sur l’île d’en face.

6h45 – D’arriver en bateau, on réalise : 1500 kilomètres de Tahiti, une semaine de navigation en ne croisant qu’un seul bateau sur l’océan. De l’autre côté, pour atteindre le continent américain : un mois de mer. Sommes ancrés dans une piscine perdue au milieu du Rien, dans laquelle barbottent quelques cailloux, avec dessus, une poignée d’humains. Dont nous. Fière d’être ici.

 

Notre navigation Tahiti-Gambier tout en images, c’est ci-dessous! Bon visionnage.

14 Comments

  1. Coucou les marins aventuriers,
    C’est un vrai régal pour nous de voyager par procuration jusqu’aux gambiers.
    Par solidarité, Martine tient avec patience et encouragement, d’une main « le saladier » d’Estelle et de l’autre, « le bistouri » qui incise le panaris de Christophe……. Maigre soutien de la sage femme qu’elle fut.
    Félicitations pour votre arrivée de nuit.
    Bon repos à vous.
    Nous sommes heureux de vous avoir croisé et apprécié …..le bref instant de notre rencontre éphémère à Opunohu.
    A bientôt

  2. Bonjour les amis
    Après ce départ de Papeete,avec un pincement au cœur, et un mal au cœur pour les premières heures de navigation, vous nous faites rêver de nouveau avec cette traversée vers les Gambiers ,les photos sont magnifiques.
    Nous attendons avec impatience les prochains récits d’Estelle,qui nous permettra de nous faire découvrir ces îles « d’après certains aventuriers,les plus belles îles de Polynésie ».

  3. Bonjour
    J’ai découvert récemment votre chaîne sur you Tube.
    On l’ apprécie immédiatement de part
    L’équipage:
    Estelle pour ses vidéos bien filmées et commentées ( un certain talent pour la narration) avec le sourire et la bonne humeur en plus:
    Christophe pour sa discrétion, ses connaissances maritimes;
    Ensuite le bateau:
    un biquille monocoque alu de 14m, robuste et solide:
    Et pour terminer le parcours:
    naviguer jusqu’en Antarctique c’est pas banal.
    Bravo.
    Bon vent.
    Xavier

  4. Superbe document encore une fois, très franchement vous êtes courageux, c’est superbement décris , quant au mal de mer, là je serais otalement inutile sur le bateau, j’espère que le doigt du Capitaine va mieux , vos sourires nous font rêver … Je vous soutiens moralement mais très fortement, et dire que pendant ce temps là je fêtais la St michel , quelle indécence … Bises du Portugal à vous deux et reposez vous un peu, vous l’avez bien mérité …

  5. Génial ! Pfff…. quelle aventure encore une fois… ! S’il te plaît, fais-en un livre à l’arrivée ! (oui, je sais ! je radote !) Bourré d’émotions encore une fois… j’en partage beaucoup ; surtout sur les départs… !
    Carrément que vous pouvez être fiers de vous ! C’est le bout du monde !!! Et vous y êtes ! Enjoy 😉

  6. Bravo Estelle et Christophe!
    Et merci pour ce récit qui nous tient en haleine de bout en bout.
    Profitez bien de ce bel archipel qui regorge d’histoires insolites…
    Reposez-vous bien et prenez des forces pour la suite.
    Grosses bises

  7. Le bonjour vous va,
    On leur dit que Jade renâcle au près, ….ils programment le près !
    Ils veulent éviter les 25 nœuds…., ils partent à 25 !
    Ils savent qu’ils sont sujets au mal de mer,….ils prennent le large !
    Blessés en quête d’assistance médicale, ….ils filent vers l’isolement !

    La question se pose, sans y même penser.
    Sont-ils fous, ces jeunes, ou simplement téméraires ?
    Eh bien non, et, comme toujours, c’est Estelle qui nous donne la réponse : ils sont accros….
    baths, bien sûr, comme l’on l’eut dit familièrement il y a quelque temps déjà, mais accros pour sûr.
    Et en plus, ils nous font saliver… Vous avez vu les recettes acrobatiques ? Mmmmm….
    Le radar sonore est assez puissant pour nous prévenir du temps de cuisson. Ne manque que la piste hélico, envisageable puisque, je crois, il n’y a pas de patara gênant. Nos écouteurs sont branchés. Dès le signal, on arrive.
    D’icilà, alternez bon vent et savoureux repos.
    Edith et Roger

  8. Haha, merci Edith et Roger! C’est vrai qu’on est peut-être un peu fous, en fait… ???? Je n’avais jamais vu ça comme ça, mais je vais en parler au capitaine…
    On vous embrasse, portez-vous bien!

  9. Merci beaucoup Isabelle et Patrick! Bien tristes, tout de même, d’avoir dû vous dire aurevoir à Tahiti… ????
    On se retrouve dans quelques mois à Biarritz!
    Bises à tous les deux.

  10. Haha! Merci Emilie. Le livre est en projet, quelque part dans un coin de cerveau du Second… ????
    J’espère que le retour en métropole continue de bien se passer, bises à tous les quatre!

  11. Merci beaucoup Patrick! Le 29 septembre, de notre côté, nous rendions hommage à St Michel en visitant la superbe cathédrale de Rikitea, qui est à son nom…
    Bises!

  12. Merci beaucoup Xavier, on fait de notre mieux pour partager ce voyage de la manière la plus simple et sincère possible!
    Bienvenue dans l’aventure.

  13. Merci Claire et Philippe! Effectivement, nous sommes indéniablement en train de tomber sous le charme des Gambier…
    On vous embrasse, à bientôt!

  14. Merci beaucoup, Martine et Serge! Plaisir partagé de vous avoir croisés ce jour-là à Moorea…
    Bon vent pour vos projets, on reste en contact!

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