Objectif canal: impact dans trois, deux, un…

Le compte à rebours a commencé.

 

 

 

 

21 janvier 2023 – Départ des San Blas, Panama

 

6h45 – Quittons le mouillage de Chichime sous un ciel plombé. Les cocotiers tout gris se balancent dans 20 nœuds de vent. Les cayes sont invisibles. Une journée de navigation devant nous, une cinquantaine de milles vers l’Ouest au portant, pour atteindre la baie de Portobelo. Le voyage repart.

11 heures – Bonne houle de trois mètres. Plus l’habitude. Seule activité possible à bord aujourd’hui : rester allongée sur un banc du cockpit. La tête me tourne. Hâte d’arriver.

13 heures – Impossible d’avaler quoi que ce soit, pour moi comme pour le capitaine.

16 heures – Venons d’empanner après deux beaux rochers sur notre bâbord. Le vent est descendu progressivement tout l’après-midi. 12 nœuds, à présent. Nous nous traînons un peu mais n’avons plus que 5 milles à faire : pourrons jeter l’ancre sans problème avant la nuit.

17 heures – Entrée au coucher du soleil dans l’immense baie de Portobelo. Nous ai imaginé, un instant, à bord d’un vieux galion espagnol se présentant, un soir du XVIIème siècle, devant ce qui fut le plus grand port d’Amérique centrale. Deux vieux gréements néerlandais dont le Thalassa, croisé il y a quelques jours aux San Blas, sont ancrés là pour prolonger le rêve. Mouillons dans le Nord de la baie, aux pieds d’un vieux fort en ruine. Deux pélicans jouent à plonger autour d’une épave dont un espar sort à peine de l’eau, quelque part sur bâbord. Une grande mélancolie se dégage de tout cela et ce soir, nous atteint.

 

Notre parcours en vidéo, depuis les San Blas jusqu’à Shelter Bay en passant par Portobelo!

 

22 janvier 2023, 8h30 – Baie de Portobelo, Panama

La navigation d’hier nous a éprouvés. Couchés à 20 heures, levés à 8 heures (un peu plus tôt pour le capitaine, comme d’hab). Je prends mon petit-déjeuner dans le cockpit, à quelques mètres de deux barques de pêcheurs qui se sont installés là, tout près de Jade. On est dimanche. Sur l’une des barques, un homme seul. Sur l’autre deux, l’un à bob et l’autre à casquette. Maintenant qu’ils ont lancé leurs lignes, ils papotent. De quoi parlent-ils ? De politique ? – je n’y crois pas. Du petit dernier qui fait ses dents, de la grande qui a ramené son abruti à la maison, de leur tyran d’épouse ? – mieux. Le dimanche à la pêche doit avoir cette même fonction dans bien des cultures : échapper, pour un temps, à sa femme.

 

23 janvier 2023, 21h30 – Baie de Portobelo, Panama

Fin de soirée tisane sur le roof à regarder les étoiles – avons téléchargé, en prévision des longues nuits de navigation dans le Pacifique, une application qui scanne le ciel. Cinq nouvelles étoiles ou constellations par jour : c’est notre objectif. Ce soir c’était le Cocher, Mars, Capella et Ladebarante. La forêt, toute proche, nous sert un concerto d’insectes, cris d’oiseaux et bruissements de feuilles comme nous n’en avions pas entendu depuis des semaines. En second violon, le doux ressac de la mer sur la plage.

Deux jours à Portobelo, donc. Avons fait quelques pas dans cette ville au charme passé, délavé, que les couleurs vives peintes sur les murs, les bancs, les bus, cherchent à compenser sans vraiment y parvenir. Quelques pas dans ceux des conquistadores espagnols qui en firent une place fortifiée jalousée par les Anglais. Quelques pas dans ceux des Congos, descendants d’esclaves venus se cacher dans les forêts denses de la région, adorateurs de l’immense Christ noir qui se trouve dans l’église de la place centrale. Au milieu de tout ça, des épiceries chinoises. Ce soir encore, dans cette baie si proche de l’effervescence du canal de Panama, les tourelles du fort San Fernando veilleront en silence sur notre sommeil.

 

 

24 janvier 2023

7h25, baie de Portobelo – Ciel gris, eau grise dans la baie. Comme tous les matins, les pêcheurs sont là. Pas un souffle de vent pour notre départ.

9h30, sortie de la baie de Portobelo – 15 nœuds de vent. Les amarres sont déjà positionnées en vue de notre arrivée. Les numéros VHF de la Cristobal Signal Station et de la marina de Shelter Bay sont sous nos yeux.

21 heures, marina de Shelter Bay – L’impression d’être de retour à la maison. À la réception, bonne surprise d’avoir à payer pratiquement 30% de moins que prévu : sommes restés 12 jours la dernière fois, avons droit au tarif « plus de deux semaines ». Décidément, on aime bien cet endroit.

Au bar ce soir, beaucoup plus de monde qu’en décembre. La haute saison de passage du canal approche. Dehors, toutes les tables sont prises. Mauvaise nouvelle : les bateaux de l’ARC World sont là, une quinzaine. On nous explique clairement qu’ils seront prioritaires sur tout le monde. Croisons les doigts pour qu’ils n’éjectent pas notre Jade du planning.

Mélange de plaisir à retrouver la civilisation moderne et de déjà-nostalgie de l’isolement des San Blas, de la quiétude de Portobelo. À partir de demain, passons en mode préparation.

 

26 janvier 2023, 22 heures – Marina de Shelter Bay, Panama

Grosse journée. Réveil à 6 heures pour prendre la navette gratuite de la marina jusqu’au centre commercial de Colón, récupérer une voiture de location, rouler une heure jusque Panama City et faire nos premières courses pour la grande traversée qui nous attend. Nathalie et Michel du catamaran Tao, rencontrés aux San Blas, nous ont donné deux bons plans : une Casa del Jamon comme nous n’en avons pas vu depuis les Canaries il y a plus d’un an, et un magasin de vente en gros. Avons rempli deux caddies de conserves et de boissons.

Mais acheter ne fait pas tout. Il faut encore tout transporter par brouette de la voiture jusqu’au ponton, monter tout ce bardas à bord, trouver de nouvelles idées pour optimiser l’espace, ranger – enfin. Sommes partis sur un avitaillement de trois mois pour deux personnes, histoire d’être tranquilles un moment une fois arrivés en Polynésie. Rebelotte demain. Une fois la phase courses derrière nous, pourrons passer à la phase brico-ménage. La fête, quoi.

 

 

27 janvier 2023, 20 heures – Marina de Shelter Bay, Panama

Comment le contenu de quatre caddies de courses a-t-il pu entrer dans les entrailles de Jade ? Aucune idée. C’est rentré.

 

28 janvier 2023, 20 heures – Marina de Shelter Bay, Panama

Ce matin, avons assisté à une présentation sur la Polynésie organisée dans les locaux de la marina. Pour la première fois, ces îles lointaines sont palpables : cartes, explications, bons plans, contacts. Repères sous forme de baies aux noms exotiques que nous mélangeons de moins en moins. En partant, avons acheté le pavillon de la Polynésie française. Des lagons plein la tête.

 

Parés pour la Polynésie!
Parés pour la Polynésie!

 

30 janvier 2023, 20h45 – Marina de Shelter Bay, Panama

Venons de faire notre premier routage « transpacifique » sur le logiciel de navigation. Si nous partions demain, avec la météo du moment, sans nous arrêter aux Galapagos (trop chères, trop contraignantes pour le temps que nous souhaitions y passer, mais nous y reviendrons), quand arriverions-nous de l’autre côté ?

32 jours. Jusqu’à présent, le logiciel s’est rarement trompé de beaucoup. Je le savais, mais le fait de voir la route dessinée sur la carte, d’attendre dix fois plus longtemps que d’habitude que l’ordinateur fasse son calcul…

32 jours de mer. 4000 milles. Un bon mois avant que Jade ne jette son ancre dans la baie des Vierges de Fatu Hiva, aux îles Marquises. Je n’arrive pas à visualiser. Passé une heure cet après-midi à charger de nouveaux livres sur ma liseuse. Vais me prévoir une deuxième séance.

 

31 janvier 2023, 23 heures – Marina de Shelter Bay, Panama

Aujourd’hui, seconde rencontre avec Panama City – sans courses à faire cette fois. Simplement nos deux premiers équipiers pour le canal à aller chercher à l’aéroport. En avons profité pour voir quelques bouts de la capitale et faire un repérage à la marina Flamenco, où nous avons une place de réservée à l’issue de notre passage du canal, dans cinq jours. Déjeuner de arroz de mariscos devant les pontons –  occupés, pour la plupart, par de gros bateaux à moteurs. Restaurants multiples, magasin de duty free, file d’attente pour les navettes de Taboga à la journée. De ce côté, l’ambiance est beaucoup plus jetset que côté Atlantique. Le grande ville est là, juste devant. La marina accueille les sorties du dimanche des citadins fortunés.

 

 

Reprenons la voiture, traversons quelques quartiers pauvres, de nombreuses personnes trainent dans les rues. D’un coup, le revêtement de la route change : passons d’un bitume troué à de petits pavés rouges. Les panaméens disparaissent des rues, les touristes à chapeaux et appareils photo apparaissent. Bienvenue dans le Casco Viejo, l’ancien quartier colonial. Jolies ruelles, bâtiments immenses et proprets, restos-musées-boutiques-hôtels. Quelques vieilles façades fort honorables.

Le musée du canal nous plonge pendant deux heures dans l’histoire de ce pays étonnant, dont l’existence est intimement liée à celle du projet pharaonique de relier l’océan Atlantique au Pacifique. Apprenons au passage que le Panama a pris son indépendance de la Colombie 15 jours seulement avant de confier aux Américains la fin de la construction et l’exploitation du canal. Le grand métissage de la population panaméenne, qui fait toujours la richesse du pays aujourd’hui, provient en grande partie des milliers d’ouvriers immigrés venus creuser les flancs de ses montagnes entre la fin du XIXème et l’aube du XXème siècle.

 

 

A la tombée du jour, tour en voiture sur l’étonnante Cinta Costera 3, anneau routier tournant autour du Casco Viejo au-dessus de la mer, construit pour désengorger le centre historique. Ses piliers s’enfoncent dans la vase du Pacifique à marée basse – hé oui, de ce côté-ci, nous retrouverons des marées ! Passage devant le Mercado de mariscos et sa dizaine de petits restaurants de poisson, très animé en cette fin de journée. Nombreux joggeurs sur la promenade en bord de mer, juste avant que la quatre-voies s’enfonce, à la tombée de la nuit, au milieu de la forêt de buildings de la ville nouvelle. L’aéroport est tout au bout.

 

1er février 2023, 7h30 – Marina de Shelter Bay, Panama

Premier jour de février 2023. Le mois où Jade va traverser le Pacifique.

 

 

4 février 2023, 20h30 – Marina de Shelter Bay, Panama

Pour la première fois du voyage, ce soir, toutes les couchettes de Jade sont occupées. Alors que j’écris ces lignes dehors, dans le cockpit, une douce lumière sort de la soute arrière bâbord. Ma petite sœur dort sous mes pieds.

Ce matin, avons pour la dernière fois rendu la voiture de location avec laquelle nous avons fait les multiples allers-retours des derniers jours. Avons dit aurevoir à Valencia et José du bureau Budget de Colon. Presque devenus des amis.

Mon ami Sébastien et sa copine Marine sont arrivés le 31 au soir. Lydie, ma petite sœur, hier. Avec eux trois, sommes au complet pour passer le canal demain. Avons tout de même décidé de louer les services d’un handliner professionnel, au cas où.

Tous les bricolages ont été faits – avec une incertitude tout de même : l’un de nos pilotes automatiques ne répond plus, il va falloir s’en occuper. Nettoyage complet du bateau : fait. Frigo plein et menus prêts pour les repas à 5, 6 ou 7 personnes des trois jours à venir.

Demain 8 heures : livraison des amarres et pare-battages « spécial canal » par notre agent. 13 heures : arrivée du handliner, qui restera avec nous pendant deux jours. 16 heures : récupération du Transit Advisor au mouillage devant Shelter Bay et départ pour la première écluse.

Tout est paré. Reste une question : la veille de changer d’océan, comment s’y prend-on pour dormir ?

 

 

6 Comments

  1. Hello les Patagons,
    Bon vent pour cette traversée si bien préparée! On vous sent sérieux et concentrés.
    Normal, cet océan n’a de Pacifique que le nom!
    Décision intelligente à mon avis d’éviter un stop aux Galapagos, même si ça allonge l’étape. Il fallait le faire il y a 30 ans! Maintenant, il parait que ce ne sont que contraintes et racket!
    Ahhh, l’arrivée sur les Marquises…On y arrive pas tout à fait comme on a quitté l’Atlantique. On connait mieux le ciel; on s’est surpris plusieurs fois à parler tout seul; on rêve depuis un bout de temps à un bon steak-salade.

    Bon vent et continuez à nous régaler, même si, cette foi-ci, on attendra un peu!

  2. Magnifique vue depuis la Cinta costera3 et belle description du ressenti de cette
    vie trépidante autour du canal avant de rejoindre le pacifique !!
    je vois que vous faites cap sur les iles Panaméennes ,
    une pause avant le grand saut peut être,
    bonne traversée à Jade et à vous 2 bien sur

  3. D’après la carte, ça y est, vous êtes de l’autre côté…
    Y’a plus qu’à ! Lever la tête, regarder droit devant et suivre la course du soleil.
    Bon vent

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.