
Marquises – Tuamotu : d’une Polynésie à l’autre
Juin est là. Il est temps pour nous de quitter (à regret) l’archipel des Marquises pour celui des Tuamotu, 500 milles nautiques vers le Sud-Ouest. Quitter les montagnes pour les atolls, la pierre pour le sable, le vert pour le bleu. On a beau s’y attendre, ça fait tout drôle…
6 heures, baie de Tahauku, Hiva Oa – Levons l’ancre de cette baie qui nous vit arriver épuisés, il y a un mois et demi, après 35 jours de mer. Comme souvent ici au petit matin, le ciel est chargé. Une bonne houle entre dans la baie, malgré la digue. On sera mieux dehors.
7 heures – L’île de Tahuata, que nous longeons sur notre tribord, porte bien son nom : « lever éclatant du jour », en marquisien. Ce matin, elle seule a droit à la chaleur de quelques timides rayons de soleil sur ses sommets de pierre.
14 heures – Très belle navigation. Avions calculé notre coup pour avoir du vent au travers, avons carrément droit à du portant !
16 heures, baie des Vierges, Fatu Hiva – Enfin. Il y a un mois et demi, nous aurions pu atterrir de notre transpacifique ici. C’est ce que font beaucoup de voiliers : il est plus logique, ensuite, compte tenu des vents dominants soufflant su Sud-Est, de remonter progressivement les îles des Marquises vers le Nord plutôt que de les descendre, comme nous l’avons fait. Mais ce mouillage est réputé compliqué : souvent du monde, peu de place, grande profondeur, sol rocheux à plein d’endroits. Après 35 jours de mer, avions opté pour plus de simplicité.
Mais quelle vue ! Les pics de basalte du fond de l’anse, que l’on ne voit qu’en toute fin d’approche de la côte, rappellent la supercherie dont fut victime le nom de ce lieu à l’arrivée des missionnaires chrétiens: choqués par tant de vulgarité, ils ajoutèrent un « i » salvateur à ce qui s’appelait alors la « Baie des Verges ». J’ai beau chercher une Vierge Marie parmi les élancements phalliques devant nous, je ne trouve pas.
Orientée à l’Ouest, la baie s’embrase avec le soleil couchant. Sommes arrivés pile au bon moment. Là-haut, des taches blanches et brunes sont perchées en équilibre au-dessus du vide… des maisons ? À cette hauteur, sur cet à-pic ? Un bêlement vient vite nous détromper. Ne jamais oublier qu’aux Marquises, les biquettes sont PARTOUT !

17 heures – Avons tourné une heure et réancré quatre fois avant d’enfin trouver une place à peu près convenable. Il y a ici une quinzaine de bateaux, la plupart de voulant pas d’un voilier en aluminium de 25 tonnes pour voisin et arguant de leur ancre située juste là, non en fait là, en tous cas pile où nous sommes… Nous voici donc à mouiller par 30 mètres de fond, en avant de la baie. Avons sorti 100 mètres de chaîne. C’est la première fois depuis le début de notre voyage que ces derniers maillons prennent l’air – nous avons 120 mètres en tout. Cette nuit, malgré les deux alarmes de mouillage, le capitaine dormira mal.
1er juin 2023, 8 heures – Mouillage dans la baie d’Hanavave (baie des Vierges), Fatu Hiva, Marquises
Changement de mouillage au petit matin – l’américain du voilier bleu d’à côté est parti. Sommes à présent dans 25 mètres d’eau, avec 90 mètres de chaîne. Toujours ça de pris.
2 juin 2023, 17h55 – Mouillage dans la baie d’Hanavave (baie des Vierges), Fatu Hiva, Marquises
Le disque blanc de la lune quasi pleine se lève au-dessus des dents de scie qui surplombent le village. Sur les pics devant nous, une quinzaine de chèvres alimentent notre discussion d’apéritif : comment font-elles pour se mouvoir ainsi au-dessus du vide ? Y en avait-il plus ou moins, hier soir? Pourquoi venir se percher à cet endroit improbable alors qu’elles n’ont ici aucun prédateur, excepté l’Homme ? – D’ailleurs, la chèvre connaît-elle la peur ? De l’Homme ? Du vide ?
Sommes tous les trois sur le roof, ti-punch à la main, les jambes cassées. Aujourd’hui, avons marché les 17 kilomètres qui séparent les deux baies habitées de l’île, Hanavave et Omoa. Prévenus qu’une montée très raide nous attendait au départ de la baie des Vierges, avons laissé l’annexe au quai du petit port à 6h30, espérant une ascension à la fraîche. Déjà quelques femmes sur le pas des maisons papotaient par grappes de trois ou quatre. Certains, au travail dans leur jardin, parfumaient l’air matinal de l’odeur de l’herbe coupée. Musique de la rivière s’écoulant, tout doux, entre les maisons du fond de la vallée encore tapies dans l’ombre. Des deux côtés, la masse énorme des montagnes enserrant le village à peine éveillé. Des roches énormes posées dans les jardins, parfois très près des habitations, rappellent que les parois de pierre, quand elles le veulent, peuvent frapper. Au détour d’un virage de la route, nature morte marquisienne : coq chantant sur son rocher, encadré par les branches d’un pamplemoussier pliant sous le poids des fruits mûrs.
La montée fut effectivement raide, la balade sur le plateau, magnifique, puis la descente, plus douce. Une fois à Omoa, le cousin de notre ami Paco d’Hiva Oa, Temo, est venu nous rejoindre pour déjeuner. Paco nous avait donné son numéro pour que nous puissions nous fournir en fruits auprès de lui, avant notre traversée pour les Tuamotu – où seule pousse la noix de coco. Retour en 4×4 grâce à notre nouvel hôte. Demain, nous déjeunons chez lui. Il nous a fait miroiter un poisson cru coco et une connexion Wifi, qui sera notre dernier lien au monde pour toute la semaine à venir.
3 juin 2023 – Mouillage dans la baie d’Hanavave (baie des Vierges), Fatu Hiva, Marquises
11 heures – Ce matin, c’est tournoi de foot au village. Entre deux lessives de draps / confection de yaourts / pain (nous partons dans trois jours), sommes allés soutenir les vertes fluo d’Hanavave contre les roses bonbon d’Omoa. Dans une demi-heure, les gars de l’île voisine de Tahuata, arrivés à l’aube au compte-goutte à bord de petits bonitiers, affronteront ceux d’ici. Autour du terrain encerclé par les montagnes, les familles se sont installées : chaises en plastique ou nattes au sol, toutes les générations sont là. A la mi-temps, les plus petits investissent le terrain pour quelques passes. Une fillette, surtout, me surprend : comment parvient-elle à jouer sans faire tomber la fleur qu’elle a sur l’oreille… ?
Suis de retour au bateau depuis 10 minutes pour mettre mon pain au four quand je dois lâcher le stylo. Christophe me dit de lever les yeux : il lui semble que le voilier juste devant nous, dont les occupants sont absents, se rapproche dangereusement. Deux secondes d’observation suffisent. Je confirme.
11h05 – Le voilier est sur nous.
18 heures – Un dérapage qui finit bien. Alors que le voilier bleu s’approchait, Christophe m’a envoyée en annexe au village tenter de trouver ses propriétaires. En route, alors que je me retournais, j’ai pu voir mon capitaine installer en urgence des pare-battages à l’avant et le voisin de mouillage australien venir à la rescousse avec sa propre annexe. Au village je n’ai trouvé personne, et pour cause : les deux occupants du voilier étaient partis en balade. Plus tard ils nous ont raconté que, depuis le croix blanche tout là-haut sur la colline, ils avaient assisté à toute la scène – juste avant de redescendre en courant. Lorsqu’ils sont revenus à leur bateau 20 minutes plus tard, Christophe et le voisin australien l’avaient réancré en sûreté. Sans leur intervention le voilier bleu partait, tout seul, vers le large.
Avons été remerciés ce soir par un cageot rempli de bananes. Ça tombe bien : avec les deux régimes offerts par Paco avant notre départ d’Hiva Oa et ceux que nous allons récupérer chez Temo, nous nous demandions déjà comment nous allions pouvoir tout stocker.
6 juin 2023 – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 1
6h30, baie d’Hanavave – Hier à la même heure, une raie manta faisait des ronds dans l’eau autour du bateau. Ce matin, elle n’est pas revenue. Elle non plus ne doit pas aimer les aurevoirs. D’ici quelques heures, nous lèverons l’ancre pour les Tuamotu. Quitter les Marquises est une épreuve.
14 heures, en navigation – 6 nœuds de vent, sommes au moteur depuis deux heures. Avant ça, avec 8-10 nœuds, avions pu avancer quelque temps sous code zéro. Par le hublot arrière bâbord entrebâillé me parviennent les effluves de bananes, pamplemousses et citrons frais dont nous assurons la livraison à Rangiroa. La fille de Michel, son gendre et leur petite fille étant installés là-bas pour quelques mois, nous n’avons pas lésiné sur la quantité.
16h15 – Pour la première fois depuis notre atterrissage de transpacifique il y a un mois et demi, la perspective d’une longue navigation me réjouit. Je retrouve notre train-train maritime avec plaisir : bientôt l’heure de la douche à l’eau de mer sur la jupe arrière, puis de l’apéro au coucher du soleil. Avec une grosse amélioration à signaler : grâce à Michel et au quart qu’il assurera cette nuit, pourrons nous payer le luxe de dormir six heures d’affilée.
7 juin 2023 – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 2
20h15 – Journée pétole. Ce soir, avançons à 3 nœuds sous grand-voile et génois, avec moins de 10 nœuds de vent. Cela devrait se renforcer dans la nuit, et plus encore dans les jours à venir. En profiter tant que l’on peut vivre et se déplacer à peu près normalement sur le bateau…
20h30 – Parlé trop vite. 5 nœuds de vent, puis 18, puis 5. Quelques gouttes de pluie. Ai dû laisser de côté le petit carnet rouge pour rester près du winch, manivelle en main, prête à choquer. Un grain passe, invisible dans la nuit que la lune n’éclaire pas encore – sinon je l’aurais vu avant et aurais lâché le stylo plus tôt !
22 heures – Les grains se succèdent. Je travaille mes biceps au winch. Le capitaine se lève tous les quarts d’heure, change 5 degrés au cap, s’assure que j’ai su gérer, se recouche, ne dort que d’un œil. Un quart comme on les aime.
La lune s’est levée. A présent, on peut voir les masses noires qui tournent autour de nous. Elles sont partout. Finalement je ne sais si c’est mieux, de voir.

8 juin 2023, 20 heures – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 3
Journée pénible, passée à attendre le vent annoncé, qui n’est pas venu. A compter les grains. A jongler entre voiles qui claquent et moteur qui prend la tête. A pester contre une houle de deux mètres disproportionnée par rapport à l’absence de vent. Accessoirement pour moi, à nourrir les poissons. Heureusement, un beau thazard au bout de la ligne est venu nous bousculer un peu toute cette léthargie ambiante au milieu de l’après-midi.
Le capitaine a peu dormi la nuit dernière, et échoué à récupérer dans la journée. De mon côté, l’effet-gerbos de cette petite houle sans vent m’a épuisée. Quant à Michel, ce soir, il n’a pratiquement rien mangé. Il va être beau, l’équipage, pour l’arrivée triomphante de Jade à Rangiroa !
9 juin 2023, 21 heures – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 4
On voulait du vent, on a été servis. 25 nœuds constants toute la nuit dernière, puis toute la journée. Venons tout juste de repasser sous les 20 nœuds. Le monde semble soudain très calme.
Ces 25 nœuds au portant ne seraient pas grand-chose (même si ça faisait longtemps) sans notre souci de pilote automatique, toujours pas résolu. Vers 4 heures du matin, le pilote 1 a décidé qu’il n’en voulait pas, de ce vent, qu’il préférait nous laisser barrer quelques heures. Christophe a suggéré à Michel, qui s’était levé pour son quart, de retourner se coucher : situation trop délicate à gérer. Le pilote 2 a daigné fonctionner en début de matinée et tient pour le moment, mais sans affichage extérieur – pourquoi ? Aucune idée. Si l’affichage intérieur se mettait à faire de même, nous n’aurions à nouveau aucun des deux pilotes hydrauliques de fonctionnels.
Avons longuement discuté, avec le capitaine, en nous relayant à la barre ce matin. Même si nous avons pris le temps de visiter les Marquises, même si nous prendrons le temps de visiter Rangiroa, notre priorité doit être de rejoindre Tahiti pour tenter de faire résoudre définitivement ce problème. Rangiroa sera certainement, pour cette fois, notre unique escale aux Tuamotu – nous verrons une autre partie de l’archipel en fin d’année, lorsque nous retournerons vers l’Amérique latine. N’avons pas tellement envie de multiplier les navigations stressantes avec pilotes capricieux, a fortiori avec le maraamu qui commencera à souffler dans les semaines à venir.
Les plongées de Rangiroa sont, paraît-il, parmi les plus belles au monde. Le spot idéal pour se requinquer quelque temps. Et puis nous aurons Fanny, la fille de Michel, pour nous servir de guide personnel.
10 juin 2023, 22h40 – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 5
Dernière nuit avant l’arrivée. Avançons sous trinquette avec 20 nœuds de vent au travers. On fait plus confortable, pour dormir. D’après les calculs (savants et répétés) du capitaine, devrions nous pointer face à la passe de Tiputa, au Nord de Rangiroa, pile au moment de l’étale de marée basse – idéal pour profiter d’un courant soit faible, soit favorable. Malgré tout, j’appréhende un peu. Demain matin encore, le vent soufflera assez fort. Nous gardons le souvenir de cet arrêt moteur pile à l’entrée de la baie de Taiohae, à Nuku Hiva, il y a un mois (récit à relire ici). Depuis, Christophe nous a bricolé un système de secours avec le hors-bord 15 CV. Il nous sera possible, également, d’ancrer dans la passe en cas d’urgence – elle fait une quinzaine de mètres de fond en son centre. Mais il n’y aura pas de problème. Non.
En ce moment, sommes fatigués, stressés par le bateau. Peut-être parce que nous avons nos premiers vrais soucis techniques en deux ans de voyage. Peut-être parce que les 35 jours de transpacifique sont encore trop frais. Peut-être parce que cette navigation de cinq jours, entre pétole et grains au départ puis vent fort constant sur trois jours, n’aura pas été aussi facile que nous l’imaginions. Il n’y a pourtant pas de petite navigation. Nous le savons.
11 juin 2023 – Navigation Fatu Hiva – Rangiroa, JOUR 6
3 heures – Au loin, le point lumineux du phare de Rangiroa tremble dans la nuit grise. Derrière nous, la demi-lune joue avec les dégradés de noir des nuages. L’un d’entre eux, massif, plus sombre encore que les autres, est à l’aplomb du point blanc du phare. Comme une menace au-dessus de cette minuscule lueur d’espoir de Terre.
11 heures – Ancrés dans le lagon de Rangiroa après un passage de passe négocié comme des chefs. Pas de courant ou presque. Juste un peu secoués par le mascaret qui se lève devant le motu Nuhi-Nuhi. Pour Michel et moi, petite douche salée sur le pont.
19 heures – Quel changement de décor, d’ambiance ! Ils sont où, les pics tout verts qui pointent vers le ciel ? Les pamplemoussiers à ne plus avoir qu’en faire ? Ici, juste le bleu du lagon, le blanc du sable et quelques cocotiers. Bateaux et voitures d’excursions touristiques. Pensions. Restaurants. Après pratiquement deux mois aux Marquises, tout un monde à (re)découvrir.
Avons assuré notre livraison de fruits marquisiens auprès de la fille de Michel et sa petite famille. En fin de journée, quelques pas sur l’unique route de l’atoll. Sommes repassés devant la passe au coucher du soleil, à l’heure où les dauphins s’amusent à sauter dans les vagues. Cadre idéal pour souffler un peu.
C’est l’heure de sortie des dauphins, qui nous offrent le spectacle de bonds impressionnants dans la passe!
Quatre jours que nous sommes ici. S’insinue en nous, pas à pas, le rythme des atolls… Celui du lagon, des grains et du vent qui l’agitent tous les deux jours. Celui de la bande de sable qui sert ici de terre, que Michel arpente à vélo tous les jours pour profiter au maximum de sa fille et de sa petite-fille. Celui de la passe de Tiputa et des dauphins qui l’animent en fin de journée. Le midi, parfois, une assiette de poisson cru au lait de coco dans un snack du coin. Coucher tôt, lever tôt.
Aujourd’hui, première plongée. J’appréhendais la reprise. Fanny, la fille de Michel qui nous a encadrés, a su faire descendre la tension malgré le fort courant dans la passe. Première fois pour moi, un tel courant. D’abord surprise de ne pas pouvoir contrôler grand-chose à mes mouvements, à ma trajectoire. Puis plaisir de se laisser voler, toujours avec Fanny dans le viseur et sa présence rassurante à nos côtés. On tente de se retenir sur une pierre, un corail mort, pour voir passer une ombre de requin, au loin… on tient cinq secondes puis on lâche prise, sans conséquences. Nul besoin de réfléchir à mes travellings pour ma prochaine vidéo sous-marine : le courant les fera pour moi.
19 juin 2023, 19 heures – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
Aujourd’hui, c’était excursion au lagon bleu, de l’autre côté du lagon (une heure en bateau rapide) : snorkeling avec les requins pointe noire, une première pour moi. Puis atelier tressages de feuilles de cocotiers, déjeuner poisson-poulet au barbeucue, interlude musical djembé-ukulele. Bon enfant, décontracté, très cool.
Nage avec les requins pointe noire au lagon bleu.
Un bon coup de vent se profile pour dans quelques jours. Discussion avec Michel, ce soir : il préfère, comme nous, attendre ici que cet épisode passe plutôt que de se précipiter maintenant sur vers Tahiti. Cela l’obligera à rejoindre Papeete en avion depuis ici plutôt que de faire cette seconde navigation avec nous. En attendant, il profitera de sa famille au maximum et nous, de la tranquillité du lagon. Un air de vacances dans le voyage.
20 juin 2023, 20h15 – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
Grosse émotion, aujourd’hui. Sous-marine. Pour la première fois de notre vie (car c’est aussi le cas pour Christophe, qui a pourtant beaucoup plongé), avons nagé à proximité d’un groupe de requins gris. Plusieurs dizaines, regroupés pour la période de reproduction dans l’un des canyons de la passe de Tiputa. Animaux grandioses, cadre grandiose, instant de vie en suspens.
On les trouve beaux, et en même temps, on ne peut empêcher son cœur de battre trop vite. Des images de film reviennent en tête. Les requins nous tolèrent en ce lieu, mais nous sommes chez eux. Dans nos combinaisons étriquées, avec nos 12 kilos de bouteille sur le dos, nous sommes patauds, vulnérables. Ceci n’est pas notre élément. Au bout d’un nombre de minutes dont je n’ai aucune idée, Fanny nous a fait signe de jeter un œil à nos ordinateurs de plongée : stationnés depuis un moment sous les 20 mètres de profondeur, il nous faut repartir. Le rideau s’est fermé sur cette scène qui alimentera bien des rêves dans les jours, les mois, les années à venir.
Plongée avec les requins dans la passe de Tiputa, Rangiroa.
25 juin 2023, 15 heures – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
Un dimanche sur un atoll du Pacifique. On se laisse imprégner, le nez au vent le long des dix kilomètres de route qui relient les passes de Tiputa et d’Avatoru, par la langueur ambiante. Au bout de deux semaines ici, on commence à avoir pris nos petites habitudes.
Arrêt chez Fanny et Emilien en début de parcours pour le coucou quotidien du papi Michel à la petite Louise. Arrêt un peu plus loin sur la plage publique que la remise des prix de la course de pirogues, hier, a peuplée le temps de quelques heures. Pédalage jusqu’à la petite boutique Ma’a Mika, dans le virage après l’aéroport, où nous réservons notre pain artisanal et notre fromage à la découpe pour le retour (vendu à prix d’or, mais on est tellement en manque !).
Avatoru, au bout de la route, nous rappelle qu’on est dimanche. Les trois églises du village sont pleines. Des chants choraux s’échappent des fenêtres de certaines maisons – mais de toutes les autres, ce sont plutôt des notes de ukulele qui filtrent. A la seule supérette ouverte, on croise des femmes à fleurs (sur la robe et sur l’oreille), à chapeau et à sac à main tressé. Au quai de la passe d’Avatoru, calme en cette fin de matinée à marée basse, un petit bateau de fret s’alourdit de quelques caisses à la vitesse nonchalante d’un vieux monte-charge. Au retour, face au vent qui commence à bien souffler, on fait un stop salvateur au food-truck Chez Rua, pieds dans le sable face au langon, pour une coco glacée et une gaufre au sucre. De retour à la petite boutique pour récupérer notre pain et notre fromage, on se rend compte qu’il est midi et qu’on a faim. On s’offre notre première planche mixte depuis un an. Brève pensée pour les terrasses parisiennes de la fin juin… On est loin.
28 juin 2023 – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
7h20 – Changement d’ambiance depuis hier : le vent se lève. Avions prévu le coup : 60 mètres de chaîne dans 12 mètres d’eau, plongée sur l’ancre tous les jours pour vérifier sa bonne tenue. Afin de lui trouver l’emplacement adéquat au milieu des patates de corail qui jonchent la baie, nous nous y sommes repris à trois fois. Avons fini par trouver la bonne méthode : repérer le bon endroit avec masque et tuba et y laisser couler un poids au bout duquel une bouée est attaché. Le maraamu peut venir, nous sommes prêts à l’accueillir.

15 heures – Instant d’une rare poésie, ce matin en plongée. Un dauphin solitaire s’est approché. Avons d’abord pensé qu’il passerait sans s’arrêter, mais Fanny a la technique : mouvements de marionnette avec les mains, quelques contorsions, et il est revenu vers nous. Très calme, il a pourtant esquissé quelques pas de danse. Etait-ce Fanny qui le suivait, ou plutôt lui qui mimait les mouvements de la plongeuse ? Natation synchronisée Homme-animal. J’en suis restée sans voix dans mon détendeur.
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29 juin 2023 – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
15h30 – Ce midi au petit snack, une raie léopard faisait des ronds dans l’eau devant la terrasse, dans l’indifférence générale. L’un des risques du voyage, c’est qu’il finisse par transformer l’extraordinaire en banalité. Ne jamais cesser de s’émerveiller.
3 juillet 2023 – Mouillage à Rangiroa, Tuamotu
20h30 – Séquence émotion, ce midi, pour l’aurevoir à notre ami Michel. Il prend son avion dans quelques heures pour Papeete puis la métropole, après deux mois passés à bord avec nous. Aurevoir également à Fanny, qui nous a fait nager avec des requins pour la première fois de notre vie, Emilien, son gendre, et Louise, sa petite-fille. Le maraamu se calme légèrement demain: à l’étale de marée basse, nous partirons pour Tahiti – avec ou sans escale sur l’île de Makatea, nous ne le saurons qu’au dernier moment. Aurevoir aussi à Martin, du club de plongée. Aux gérants du Relais de Joséphine et à leur équipe, face à la passe de Tiputa. Ces derniers temps, tous les soirs ou presque, nous allions siroter notre Piña Colada (Virgin ou pas) devant le fascinant spectacle des sauts de dauphins.
Trois semaines à Rangiroa, au même endroit: l’une des conditions pour apprendre à connaître un peu les gens qui y vivent. Pour s’attacher. Pour, mine de rien, sentir ce petit pincement au cœur, là, tout au fond.

merci pour tout bon vent
Chaque lieu visiter rentre un peu plus dans votre cœur. Je ne sais pas sii on ressort indemne d’un voyage comme celui que vous vivez. Que de moments forts, toujours aussi bien narré, et l’apport de ces photos et vidéos fait que nous sommes sous le charme de cette aventure. Merci pour cet échange. Bises à vous deux, b.
Coucou Jade! Sur Nimic, on attendait la suite avec impatience : on n’est pas déçue ! Eh oui, quel contraste, quelle splendeur, quelle aventure… Mais ça me confirme que la route polynésienne n’est probablement pas la nôtre 🙂 Bises depuis notre sec à Puntarenas (celui du Costa Rica, pas celui de Patagonie lol)
Admiration totale. Amoureux de la Polynésie 🇵🇫, jamais eu le courage de vivre comme vous.
À 70 ans, c’est un peu tard !
J’aime vous lire.
Merci pour votre témoignage.
Pierre
Quelle aventure ! Question pratique : est ce que Obelix tient tjrs son snack au milieu de l’île ? Le meilleur Mahi-mahi vanille de notre vie !
Merci pour cet émerveillement permanent !