
Les pieds sur terre à Madère
Après cinq jours de traversée, nous voici sur la terre ferme. La petite île de Porto Santo nous offre une superbe mise en jambes pour les randos à venir. Mais Jade se sent en reste… et finit par nous suivre sur le plancher des vaches!
31 août 2021 – Jour d’arrivée à Porto Santo
16h30 – Prise de contact avec la marina de l’île de Porto Santo, au nord de Madère. Pour la première fois du voyage, avant nos papiers ou ceux du bateau, on nous demande nos attestations de vaccination contre le Covid. Première arrivée sur une île, aussi.
18h30 – Ancrés dans l’enceinte du port. Avantages combinés de la marina et du mouillage: être à l’abri de la houle et pouvoir se baigner autour du bateau. Plouf dans une eau claire et chaude, entourés de montagnes ocres sur lesquelles la lumière projette des ombres grandioses.
23h – Ce soir, avons dégusté un foie gras maison à bord de Macajou pour fêter notre arrivée simultanée sur la petite sœur de l’île aux fleurs. Fatigués. Se coucher dans un lit qui ne bouge pas, ou si peu… Le pied.
1er septembre 2021, 23h30 – Marina de Porto Santo
Ce matin, mis pied à terre à Porto Santo. Avons marché le kilomètre qui sépare la marina de la ville principale de l’île: Vila Baleira. Impression de bout du monde. La route, les paysages, sont extra-ordinaires. On les regarde avec des yeux neufs, lavés par la mer. Deux extra-terrestres déposés par les vagues. Les larmes ne sont pas loin.
En revenant à la marina, avons croisé deux visages connus : Catherine et François, du voilier Storia-Storia, dont nous suivons les aventures sur Youtube depuis des mois. Quelques heures plus tard, invités à bord de leur Ovni 445 pour l’apéro, vite transformé en dîner. Ce monde des voyageurs des mers est décidément petit.
2 septembre 2021, 10h20 – Marina de Porto Santo
Journée bricolage. Réamorçage du groupe électrogène, étude attentive de la pompe du désalinisateur – qui s’est mise à fumer pendant la traversée… C’est aussi ça, la vie de bateau. Je continue d’apprendre.
5 septembre 2021, 21h50 – Marina de Porto Santo
Aujourd’hui, randonnée en tribu avec l’équipage de Macajou et d’un autre voilier français, Symphonie, dans le nord de l’île. Rien que dans le taxi pour rejoindre le point de départ de la balade, souffle coupé par les paysages. Peut-être, aussi, par la vitesse à laquelle conduit Teresa, notre pilote.
Là-haut à Terra Cha, après trois kilomètres de montée à pic, spot de pique-nique parfait: la table, la vue sur la mer, la grille abritée du vent pour faire dorer les saucisses. Gaëlle, Jean-Arnaud et Margot, l’équipage de Symphonie, connaissaient les lieux et nous ont menés à bon port. Je sors une salade de riz digne d’un régiment, Laetitia sort la bouteille de rosé. Sur le retour, coupons à travers champs – qui n’en sont pas: pierraille, herbes hautes… la nature reprend ses droits sur les cultures en terrasse laissées à l’abandon. Il y a cinquante ans, toute la montagne devait en être recouverte. À Porto Santo, certains secteurs sont en cours de reboisement.
Des paysages de cette nature, secs, monumentaux, sublimés par la mer en contrebas, nous en verrons encore. Madère, Canaries, Cap-Vert… Je sais déjà que je ne m’y habituerai pas. Que l’émotion sera toujours nouvelle. J’en ai des frissons par avance. Quelle chance d’être là!
7 septembre 2021, 20h15 – Marina de Porto Santo
Ce matin, avons marché jusqu’à la pointe sud-est de l’île, face à l’îlot de Cima que nous avons longé avec Jade le jour de notre arrivée. Le sentier, d’abord à moitié éboulé, passe dans un tunnel pour déboucher sur un panorama baigné de lumière. Les roches volcaniques, sombres, alternent avec des pentes dorées faites d’un sable très fin. Par endroits il a formé des falaises, on se croirait à Petra. J’aimerais m’y connaître en géologie pour comprendre un peu mieux. Je m’arrête pour des photos, Christophe prend de l’avance. Au sortir d’un deuxième tunnel, surprise: une baie sombre entourée de montagnes violacées, et mon capitaine qui se baigne au milieu, à poil.
Si l’on fait tout ça, c’est un peu pour ces moments-là.
9 septembre 2021, 10h55 – Départ de Porto Santo pour l’île de Madère
10h55 – Venons de passer l’île do Baixo, dernier rocher de Porto Santo en direction de Madère. On y voit les coulées de lave qui ont donné naissance à ces îles. Nous n’aurons eu le temps d’explorer que les parties nord et est de l’île. Les soucis techniques nous ont pas mal mobilisés. Demain, nous sortons Jade de l’eau pour tenter de régler un problème que nous avons identifié sur son safran, et qui s’est aggravé pendant la dernière traversée. À la voile, à certaines vitesses, il entre en vibration avec la coque. Nous craignons que cela n’endommage la structure. Après un coup de fil au chantier META, avons confirmé l’option de la sortie de l’eau.
20h30 – Mouillage à la pointe Sao Lourenço, à l’est de l’île de Madère. Jade seule au milieu des falaises volcaniques. Mettons l’annexe à l’eau pour aller voir ça de plus près: roches veinées de noir, d’ocre, de violet par endroits. Cheminées volcaniques verticales et grises qui viennent casser tout ça. Stoppons le moteur et approchons à la rame. Silence. On imagine pourtant la fureur qu’il a fallu à la Terre pour sortir cela de ses entrailles.
21h – Sur les falaises au-dessus de Jade, dans le soleil couchant, quelques marcheurs. Un groupe, dans un coin, se distingue: l’un de ses membres est tout vêtu de blanc. Une mariée. En pleine séance photos. Sur les clichés du mariage de cette inconnue, au milieu du noir et ocre des falaises, il y aura une petite touche vermeille. Jade s’est invitée toute seule.
10 septembre 2021 – Santa Cruz
17h – Ça y est, Jade a les quilles au sec! Et pas n’importe où: à Agua de Pena, sous la piste de l’aéroport Cristiano Ronaldo. Petit moment de doute devant la cale de levage tout à l’heure: elle semblait moins large que le bateau! Le capitaine a manœuvré comme un chef, lentement mais sûrement, devant un public initié et attentif. Fallait vraiment pas se louper… Avons dû démonter deux pataras, en plus de l’éolienne, pour que le travel lift puisse monter le bateau. Puis travail tout en finesse d’Elmano, directeur de la zone technique, pour mener la manœuvre à son terme. Gestes précis, légers, silencieux. Chef d’orchestre en bleu de travail.
21h – Petit hôtel sur la place principale de Santa Cruz, premier patelin après l’aéroport. Goûté le poisson-sabre à la banane, spécialité locale, dans une petit restaurant sur la place de l’église. Balade digestive le long de la plage de galets. L’air est humide, le soir. Des bananiers poussent en ville.
La nuit à venir sera dans un grand lit et sans roulis. Le capitaine m’avoue que c’est le premier moment depuis Séville, où nous avions également passé quelques nuits à l’hôtel, où il peut se coucher l’esprit pleinement serein. À bord de Jade, il reste attentif à tout, tout le temps. Au port comme au mouillage. Garder cela en tête et se permettre un lit immobile de temps en temps. Trop important.
12 septembre 2021, 20h – Santa Cruz
Aujourd’hui dimanche, chantier fermé. Avons loué une voiture pour explorer la côte sud de l’île de Madère et ses trois marinas – Quinta do Lorde, Funchal, Calheta. Premier aperçu impressionnant! Des pentes raides et du vert partout. Des bananeraies à perte de vue. Des maisons accrochées à flanc de montagnes. Luxuriance. La voie rapide alterne ponts et tunnels de plusieurs kilomètres pour relier les différentes localités de l’île. On imagine qu’avant elle, la vie des madériens était bien différente.
Calheta: plage totalement artificielle (sable importé du Maroc, d’après nos lectures) derrière une digue et petite marina rouleuse. Quinta do Lorde: village-hôtel parfaitement vide, juste un bar pour les rares plaisanciers. Funchal: à la petite marina, pas une seule place de libre. Un constat, donc: Madère n’est pas faite pour les bateaux! L’île invite de toutes ses forces à se rendre en son cœur de montagnes et à marcher. Mais ça… c’est pour le prochain épisode!
Très beau récit 👏
Merci pour ce beau partage.
Continuez et profitez pleinement de votre belle aventure.
Merci Gilles!
Super ! Lire Barbarian days (jours barbares dans l’édition française) de William Finnegan pour une plongée dans Madère à travers le prisme du surf mais pas que…
C’est noté, merci du conseil!
Discrètement depuis votre départ de La Rochelle nous suivons vos pérégrinations. Fraicheur, poésie, humour accompagnent chacun de vos récits. Il y a exactement 37 ans nous étions à votre place avec notre petit ketch d’à peine dix mètres partis à la découverte du monde… Les choses ont changé à bien des égards, concernant la navigation, les infrastructures. Le port de Porto Santo était en cours de construction et n’apparaissait sur aucune carte. Il nous abrita d’une grosse dépression qui par la suite ravagea le bassin d’Arcachon. Je revois encore les rafales de vent descendant de la montagne arracher l’eau du bassin et l’annexe tournoyer à l’horizontale accrochée au balcon arrière. La piste qui menait au pauvre village, les cactus et les chèvres dans cet univers aride sont les seuls souvenirs que j’ai de cet endroit perdu. En vous lisant j’ai donc le sentiment d’être passé à coté de beaucoup de choses donc merci pour ce voyage, sur l’eau et dans le temps. Merci pour les images et sentiments oubliés qui nous reviennent, les incertitudes météo, les orques, les cieux vertigineux, les astres émergents en bordure d’horizon ainsi que les problèmes techniques à résoudre…. Et… vous qui avez déjà vu tant de pays, merci pour cette « candeur », ces émerveillements et soifs de découverte à une époque où tant de personnes sont blasées. Et maintenant à vous Madère la merveilleuse, pour ses paysages, pour ses gens. Un grand merci, Bises, Denis.