Ça y est, Jade a traversé. Elle a mérité son petit congé. Pour nos premières semaines de ce côté-ci de l’Atlantique nous décidons de baser notre fier esquif au Marin, au Sud de la Martinique, et de visiter l’île par la terre. Mais s’agit pas d’aller trop vite… On est sous les tropiques, tout de même.

 

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Tout juste arrivés de notre transatlantique, on souffle un peu… (utiliser la molette de la souris pour zoomer ou dézoomer sur la carte)

 

28 décembre 2021, jour de l’arrivée en Martinique – Mouillage de Sainte-Anne

17h05 – Un de ces calmes… Pourtant, cela fait deux semaines que nous n’avons été aussi peu seuls: il doit y avoir une centaine de bateaux au mouillage. Ce soir, ti-punch au bar du quai de Sainte-Anne avec les amis de Macajou arrivés hier. On va s’autocongratuler toute la soirée de « l’avoir fait ». Bin oui. Ça fait du bien.

21h35 – Une forêt d’étoiles autour de nous: les feux de mouillage des bateaux qui nous entourent. À bord de Jade, un drôle de silence. On entend juste l’éolienne tourner. Pas de vent, pas de crissements, pas de couinements. Surprise de tenir debout sur mes jambes sans avoir à me battre; de sortir dans le cockpit et découvrir deux barres à roue inertes, immobiles.

Le verre que nous venons de prendre au bar était surréaliste. Musique fort, groupes alcoolisés qui dansent en maillot de bain. Ambiance Jet-Set en vacances. Hébétés devant tant de bruit, de mouvement, de lumières. Trop pour nos cinq sens à peine débarqués. Extra-terrestres.

 

 

30 décembre 2021, 14 heures – Mouillage de Sainte-Anne

Ce matin, expédition en annexe jusqu’au Marin, la grande ville d’à côté, au fond de la baie. 45 minutes avec notre moteur 6 CV. Le soleil tape dur. Passés devant le Club Med, sa plage, ses véliplanchistes, ses skieurs nautiques…

Ici, changement d’ambiance, changement de rythme. C’est les vacances, quoi. Beaucoup plus qu’aux Canaries, par exemple, qui gardaient leur petit air austère, leurs terres arides, leurs eaux froides. Ici tout est doux, chaud, bleu, vert et or. La langueur n’est jamais loin. Les Antilles risquent de nous changer.

 

31 décembre 2021- Mouillage de Sainte-Anne

18 heures – Nos invités arrivent dans deux heures. Très émus de fêter cette nouvelle année à bord de Jade, avec les bateaux-copains. La petite famille éphémère que nous nous sommes construits ces derniers mois.

Fabienne et Pascal apportent les entrées: cake et pizza maison. Karine et Didier, le fameux rougaille-saucisses du chef dont nous avons rêvé pendant toute la traversée. Arnaud et Laetitia, le Prosecco et le crêpes. Nous nous sommes chargés du poisson cru à la tahitienne et de la salade de fruits. En fond sonore, la playlist des 30 ans de ma petite sœur. Le combo gagnant.

23h55 – Les amis, la famille nous ont souhaité la nouvelle année il y a cinq heures. Venons de nous brancher sur l’horloge parlante de la Martinique…

 

Bonne année 2022!

1er janvier 2022, 20h10 – Mouillage de Sainte-Anne

On va manger du rougaille-saucisses pendant une semaine.

En ville cet après-midi, et le long de la plage du Club-Med, seuls quelques bars ouverts. Avons dégusté une glace coco et une Virgin Piña Colada face à la baie en discutant avec la maitresse des lieux. On est en train de prendre le rythme.

 

4 janvier 2022, 16h30 – Corps-mort à la marina du Marin

Venons de faire deux milles nautiques pour venir nous accrocher à une bouée le long du chenal d’entrée du Marin. Trois quarts d’heure d’attente face aux mornes couvertes d’arbres et aux mangroves « trous à cyclone ». Amarrage facile, bien aidés par les marineros.

Demain: troisième dose de vaccin au centre hospitalier du Marin, puis visite du technicien pour la réparation de notre désalinisateur – qui ne fonctionne plus sur 12 volts. Après une semaine de récup, les affaires reprennent.

 

 

7 janvier 2022, 11 heures – Corps-mort à la marina du Marin

Ce matin, à huit heures tapantes, première plongée du voyage. Juste là, à Sainte-Anne, un site appelé « Petit Mur »: un tombant de 5 à 10 mètres, à une profondeur de 10-20 mètres. Jamais vu, je crois, ces couleurs de coraux et d’anémones: violet, vert quasi fluo… Je manque de vocabulaire pour parler des fonds marins, je n’y connais rien. Il va falloir y travailler.

Hier, le technicien est passé pour le désalinisateur: le moteur 12V est grillé, au sens propre. Alors qu’il n’a servi qu’une quinzaine d’heures. Il faut le changer, le commander, donc attendre. Nous avons prolongé de 15 jours notre réservation au Marin. Objectif des jours à venir: louer une voiture pour (enfin) commencer à explorer cette île, que Christophe connaît pour y avoir vécu il y a vingt-cinq ans, et que pour ma part, je découvre.

13 janvier 2022, 20 heures – Corps-mort à la marina du Marin

Aujourd’hui, balade jusque Saint-Pierre, au Nord de l’île, avec Fabienne et Pascal, nos amis du voilier Apposto. L’ancienne capitale de la Martinique, engloutie par l’éruption de la Montagne Pelée en 1902, est aujourd’hui un bourg de pêcheurs chargé d’histoire et d’émotion. Difficile d’imaginer qu’elle fut un jour surnommée le « Petit Paris ». Elle avait sa Bourse, son théâtre. Dans le petit musée dédié à la catastrophe, des objets retrouvés, irrémédiablement modifiés par les 1500 degrés de la nuée ardente qui déboula sur la ville en quelques minutes: des verres tordus, des piles d’assiettes agglomérées, des aliments (pâtes, café, lentilles) collés-carbonisés pour l’éternité. Jusqu’à la massive cloche de l’église, à moitié fondue. Aux murs, les noms de 7000 victimes identifiées à ce jour, sur les 28 000 que fit l’éruption. Dans la rade de Saint-Pierre reposent  les épaves des 39 bateaux qui furent instantanément embrasés par le nuage brûlant, aujourd’hui refuges à poissons et paradis des plongeurs. Nous irons.

Sur les hauteurs, derrière la ville, la masse verte de la Montagne Pelée dort. Paysage bucolique, riant. Une publicité pour Volvic. Difficile d’imaginer le cataclysme.

 

 

15 janvier 2022, 21h40 – Corps-mort à la marina du Marin

Dehors, tout est immobile. La surface de l’eau, autour de Jade, est un drap de soie. Quelques bruits dans la nuit: les grenouilles, quelques voix de plaisanciers au loin. Trois-quatre gouttes qui font ploc sur le toit de Jade, restes insignifiants du déluge qui vient de tomber.

Sommes rentrés sous l’averse, de nuit. Trempés jusqu’aux os dans l’annexe. La pluie faisait un rideau gris autour de nous, à travers lequel les lumières vertes et rouges du chenal du Marin perçaient toutes difractées. Trempés mais heureux. L’aventure.

Ce midi, sommes allés déjeuner chez Jean-Luc et Vanessa. Lui est une vieille connaissance de Christophe, aujourd’hui sculpteur-ferrailleur. Elle est psychologue. Ensemble, ils ont monté une association de promotion du carnaval martiniquais et organisent des ateliers de fabrication de masques et costumes. Leur maison est un musée de l’extravagant. Des objets, des masques, des boîtes, des livres, des mosaïques, des tissus partout. À l’entrée, un écriteau prévient: aquí vive un artista (ici vit un artiste).

Avant cela, dans la matinée, avons fait un petit tour dans Fort-de-France sous la grisaille. Ville pas très belle, décrépie, mais une ambiance très forte. Un mélange, pour la parisienne-voyageuse que je suis, entre Saint-Ouen et Dar es Salaam. Si, ça existe.

 

 

 

 

16 janvier 2022, 19h35 – Corps-mort à la marina du Marin

Aujourd’hui, première rando de notre séjour en Martinique, à la presqu’île de la Caravelle, à l’Est de l’île. Faisait chaud. Balade variée: forêt sèche, falaises se jetant dans la mer, mangrove. Quelques jolies petites criques, malheureusement envahies par les sargasses et les détritus plastiques. Je découvre l’existence des mancenilliers, dont le tronc cerclé de rouge est censé dissuader les promeneurs de s’approcher – quelle lubie a bien pu prendre la Nature le jour où elle a créé cette plante-de-la-mort qui ressemble à toutes les autres? Trois-quatre bateaux au mouillage dans la baie du Trésor, qui s’étale à nos pieds depuis le promontoire du phare. Là aussi, nous irons.

 

 

17 janvier 2022, 16h15 – Corps-mort à la marina du Marin

Ce matin, aller-retour au jardin de Balata, au-dessus de Fort-de-France. Sur le chemin, passons devant une silhouette connue… aurait-on raté un carrefour? Le Sacré Cœur se dresse devant nous. Réplique en miniature de celui de Paris. L’original n’étant déjà pas un modèle d’élégance… la copie manque un peu de charme. Même si la jungle environnante l’auréole d’un certain mystère.

 

 

Une fois devant le parking du jardin de Balata, hordes de touristes et trombes d’eau. On reviendra. Nous savons maintenant que nous aurons tout notre temps pour visiter la Martinique: mon père et sa compagne y débarqueront à la fin du mois pour 15 jours, et la fille de Christophe viendra nous y rendre visite avec sa famille fin février. Entre les deux, nous ferons certainement un saut en Guadeloupe.

C’était notre dernier jour avec la voiture. D’ici l’arrivée de mon père, allons nous consacrer au bateau: petites réparations diverses (dont le désalinisateur), rangement, nettoyage. Il va également falloir se pencher sur la question de la saison cyclonique: que faire de Jade entre le 1er juin et le 30 novembre, période pendant laquelle notre assurance nous interdit de naviguer au Nord du 15ème parallèle? Où la sortir de l’eau pendant les deux mois que nous envisageons de passer en métropole cet été? Grenadines? Grenade? Trinidad?… Et après: Carthagène et les îles San Blas (option Sud)? Ou alors Cuba (option Nord)? Nous avons un peu plus d’un an devant nous pour arpenter la mer des Caraïbes. Les possibilités sont infinies. Déjà, on rêve.