Dix jours aux pieds de la Montagne Pelée

Le mois de février avance. À bord de Jade, on hésite. Le capitaine n’y voit toujours que d’un œil, mais le grand Nord martiniquais nous nargue. On le dit sauvage, authentique…, de sable noir. Arrive donc ce qui devait arriver. On craque.

 

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Petit aller-retour vers le Nord de la Martinique, malgré le handicap provisoire du capitaine. Besoin de bouger. (utiliser la molette de la souris pour zoomer ou dézoomer sur la carte).

 

13 février 2022, 13h30 – Mouillage de Sainte-Anne

Pas mal de vent, encore, aujourd’hui. Une vingtaine de nœuds au mouillage – donc trente au bas mot dans la Passe des Fous, entre la côte et le Rocher du Diamant. Irons-nous vers le Nord et son volcan demain? Christophe n’y voit toujours qu’à moitié. Et « en même temps » (selon l’expression en usage)… on commence à avoir sérieusement la bougeotte. Pour ne rien arranger, les bateaux-copains (Apposto et Liberty2) sont montés là-haut.

En attendant, avons pris une nouvelle (et bonne) résolution: nous remettre à la marche. Depuis les Canaries où nous avions pas mal crapahuté, et avant elles, Madère, nos gambettes ne se sont pas tellement défoulées. C’est peut-être l’effet transat. Ça met un peu sur les genoux.

Mise en application dès ce matin avec une balade jusqu’à l’anse Meunier. Promenade à l’ombre des palétuviers (et de quelques mancenilliers), au son des vagues contre les rochers. Croisons quelques promeneurs. Dimanche. Des familles entières, arrivées dès l’aube pour investir les meilleures tables à pique-nique, déballent leur bardas à notre passage. Leur équipement est impressionnant: bâches gigantesques tendues entre quatre branches pour garantir assez d’ombre à toute la tablée, barbecues sophistiqués, chaises pliantes de toutes formes et toutes couleurs… Je repense aux pique-niques de mon enfance. Le monsieur-là, c’est mon grand-père. Le responsable-barbecue. Dans deux heures, il sortira le rosé de la glacière.

 

 

Sur le chemin, avons parlé des mois à venir. Notre arrêt à Trinidad cet été pour sortir Jade de l’eau est à présent acquis. Mais quand traverser le canal de Panama, précisément? Et la Transpacifique retour depuis la Polynésie, vers la Patagonie? Tout est lié et tout dépend des vents, des saisons. Une fois de retour au bateau, Christophe se replonge dans la lecture attentive de « Routes de croisières » de Jimmy Cornell. THE bible. Nous voilà partis bien loin.

 

 

15 février 2022 – En mer

10h20 – Ça y est. Ce matin, avons quitté Sainte-Anne pour Saint-Pierre, au Nord de l’île. Un mois et demi que Jade n’avait pas navigué. Sensation à laquelle je ne m’attendais pas: une vraie joie de me retrouver sur la mer, dans de belles conditions qui plus est. Comme si, depuis la traversée de l’Atlantique, Jade-en-mouvement était devenue chez moi, au même titre que Jade-au-port (avions passé de longues semaines à bord dès le port de La Rochelle, pour nous habituer à la vie en bateau). À présent, Jade-en-mouvement m’est devenue familière, m’est entrée dans les tripes. Je reconnais sa démarche, son déhanchement, ses bruits. J’y ai mes repères.

20h15 – Arrivés à Saint-Pierre dans l’après-midi. Très heureuse d’être ici. De nouveau, tout est à découvrir autour de nous: les lieux à visiter, certes, mais aussi ceux dans lesquels faire ses courses, où laisser l’annexe… Des questions du quotidien en bateau que, depuis un mois dans le Sud, nous ne nous posions plus. Nous commencions à être « posés ». Nous voici donc, à nouveau, « déracinés ». J’aime avoir à ouvrir grand mes yeux, mes oreilles. J’aime cet état d’éveil permanent.

À notre arrivée, les amis étaient au rendez-vous: Pascal sur le pont d’Apposto, une caméra à la main, à nous conseiller sur le meilleur endroit où jeter l’ancre ; Didier dans l’eau, avec palmes, masque et tuba, à vérifier la tenue de notre mouillage en direct-live.

 

On dirait une vidéo que vous auriez déjà vue, mais en fait non… Ce sont simplement les séquences sous-marines qui se ressemblent. Entre deux plongées donc, on vous embarque pour remonter la côte-sous-le-vent de la Martinique, de Sainte-Anne à Saint-Pierre. Et ça, c’est inédit!

 

16 février 2022 , 20h20 – Mouillage de Saint-Pierre

Ambiance Saint-Pierre: chaud et humide. Ici, il y a des grains. Les baignades du matin se font sous les gouttelettes de pluie serrée, plus froides que la mer. Vert des montagnes, noir des plages. Une ambiance totalement différente du Sud. Bourgade de bout du monde. Et puis la Montagne Pelée qui veille sur tout cela – qui veille et qui détruit, à l’occasion. Nous n’oublions pas que nous sommes ancrés dans une baie jonchée d’épaves, celles des bateaux que l’éruption de 1902 embrasât comme des torches à huit heures du matin un 8 mai. 90 secondes. C’est le temps qu’il fallut pour rayer la ville et ses 30 000 habitants de la surface du globe. C’est le titre du dernier roman en date consacré à cette catastrophe, écrit par Daniel Picouly. La réalité peut-être, par nature, hautement romanesque.

 

 

18 février 2022, 20h15 – Mouillage de Saint-Pierre

La nuit de Saint-Pierre pleut sur le pont.

Journée parfaite. Elle a commencé, dès le saut du lit, par un changement de mouillage de quelques mètres pour prendre un place laissée libre par un bateau parti pendant la nuit. Deux fois moins de profondeur, plus près de la plage. Le capitaine envisage de rester plus longtemps ici, plus sereinement. Ça me plait bien. En fin de matinée, café à bord avec le couple du voilier d’à côté: lui a navigué en Antarctique il y a trois ans! On trouve des fous partout.

Après-midi avec les copains Karine et Didier, du voilier Liberty2: marche jusqu’aux premières maisons du Carbet, visite du petit musée Gauguin et plongée en apnée sur l’épave de l’Amélie, accessible depuis la plage. Au musée, sommes tombés sur une perle: Valérie. Préposée à l’accueil, Valérie est une passionnée de l’histoire de sa ville, de son île. Elle nous explique comment le séjour de Paul Gauguin en Martinique, bien que bref (cinq mois, car il contracta le paludisme), fut décisif dans la construction de son identité artistique. C’est ici, face à l’anse Turin du Carbet, qu’il trouva son style. Puis Valérie nous invite dans la « salle numérique » pour nous guider dans une visite virtuelle du théâtre de Saint-Pierre reconstitué. Lampadaires, lustres, dorures au plafond, tapis au sol. Entrées pour les première classe, les seconde, les troisième (celle des gens « libres de couleur », dont elle nous explique le concept). Pendant vingt minutes les vielles pierres calcinées reprennent vie, les pierrotins aussi. Merci Valérie.

Le destin de cette ville, décidément, me bouleverse.

 

 

22 février 2022, 11h55 – Hôpital de Fort-de-France

Rendez-vous chez le médecin: positif! Encore 45% de gaz dans l’œil droit du capitaine, mais il est bien sur la voie de la guérison. Un peu trop de pression dans l’oeil, donc deux nouveaux collyres à lui administrer matin et soir pendant trois semaines. Prochain rendez-vous le 15 mars. Avec un peu de chance, le dernier. Celui qui nous permettra de quitter, si nous le souhaitons, la Martinique, après deux mois et demi passés sur place.

Avons profité de la location de voiture, hier, pour tenter plusieurs visites. L’habitation Céron: fermée. La distillerie Depaz: fermée. C’était lundi. Heureusement, le garagiste chez lequel nous avons dû faire changer la roue avant tribord de la voiture (à nos frais malgré l’assurance) était, lui, ouvert… Une journée fort productive! On se remet de nos émotions avec une langouste grillée en terrasse du restaurant La Vague, avec vue directe sur Jade au mouillage.

 

 

24 février 2022, 20h55 – Mouillage de Saint-Pierre

Aujourd’hui, expédition gastronomique jusqu’au Carbet, 4,5 km au Sud de Saint-Pierre. C’est que j’ai une carte-cadeau d’anniversaire, offerte par ma famille il y a deux mois, à utiliser dans un restaurant de Martinique. Celui-ci est accessible à pied, et c’est des grillades. Nous voilà donc partis.

Une heure de marche en plein cagnard, le long d’une route assez passante sans trottoir. Eh bien le ti-punch-accras-grillades-fondant-au-chocolat du Beach Grill, on les a dégustés. Première fois que je ressors d’un restaurant sans payer – on vérifie quand même auprès de l’hôtesse mais tout est bon, rien à débourser. Même aventure le long de la Nationale 2, au retour. À peine arrivés au bateau (décidément magnifiquement ancré à quelques encablures du ponton des annexes), on se jette à l’eau… pour ressortir illico piqués de partout par de toutes petites méduses.

Sur la route du retour du Carbet, un panorama sur Saint-Pierre me fait stopper net dans le virage. Ne serait-ce pas celui, à peu de choses près, que j’ai vu il y a quelques jours en noir et blanc au musée Gauguin? Une photo début de siècle de la baie, au pied de la Montagne Pelée? Je dégaine l’appareil. Avec un peu de chance et moyennant un bon recadrage, je pourrai peut-être en tirer un petit montage avant/après intéressant.

 

 

On clique sur la flèche au milieu de l’image et on fait glisser de gauche à droite pour passer de 1902 à 2022.

26 février 2022 

8h45, en mer – Quittons Saint-Pierre sous la pluie. La Montagne Pelée et bientôt la ville entière se noient dans le blanc d’une brume épaisse. Seul le Carbet, avec le clocher de son église et le toit rouge du Beach Grill le long de la plage, résiste encore à l’engloutissement. Mais le grain avance.

Nous ne devions partir que demain, et consacrer la journée d’aujourd’hui à un barbecue entre amis prévu de longue date à l’anse à Voile, l’une des plages du Nord. La météo en a décidé autrement. En ciré sous ce ciel plombé, nous ne pouvons que remercier le gentil organisateur, Jean-Luc, d’avoir annulé la sortie. Christophe me demande d’aller à l’avant, sur le pont, pour l’aider à repérer les casiers de pêcheurs – il n’y voit toujours pas grand-chose. J’aime ces instants immobiles à la proue du bateau, en short et manches courtes sous la flotte, les yeux et le cerveau tendus vers le devant, vers la mer.

Dans deux jours, la fille de Christophe et sa famille arrivent. C’est la raison pour laquelle nous rejoignons le Sud aujourd’hui. Nouveau changement d’ambiance en perspective: un chapitre s’ouvre et ferme le précédent à chaque navigation, à chaque visite.

11h20, baie de Fort-de-France – Le vent monte à 30-35 nœuds. Avec le vent et la houle de face, je ne suis pas très à l’aise. Après plus d’un mois sans naviguer, on perd quand même certaines habitudes.

12h20, rocher du Diamant – Passons entre le rocher et la côte. La houle se calme. Du gris partout.

 

Rocher du Diamant.
Rocher du Diamant.

14h15, baie de Sainte-Anne – Avons ancré sous un déluge comme nous n’avions pas encore connu. Jamais, encore, nous n’étions arrivés dans un mouillage dans ces conditions: vent, pluie, peu de visibilité et tout un tas de bateaux autour. Le ciré était bien sûr de mise. Le maillot de bain eut mieux convenu.

19h30 – Saint-Pierre me manque déjà.

 

Aperçu de l’ambiance au passage de la baie de Fort-de-France… Pour la première fois depuis la transat, on ressort les cirés!

4 Comments

  1. L’aventure de chaque moment continue. Toujours un grand merci pour ces écrits, photos et ce jeu d’images pour ce «  » »gauche à droite pour passer de 1902 à 2022″ » bien vu cette vista. Courage et bon rétablissement à Christophe. Plus que jamais cet équipage est un beau duo complémentaire 🙂 bonne continuation, amitié b..

  2. Bonjour. Que de belles images ! Nous arrivons sur St Pierre dans 10 jours. Dommage de vous avoir ratés de si peu. Grand merci encore pour votre blog et vos écrits. Bonne nav et bon courage. Etienne

  3. Bonjour,
    apparemment il y a une météo capricieuse,
    l’autre coté au vent c’est peut plus sportif ? avec le passage de la presqu’ile;
    profitez bien et merci pour ces belles images et commentaires

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