Tout lâcher pour naviguer : sur Caval’ou, ils et elles l’ont fait!

Caval’ou est en partance pour l’Antarctique. Une raison déjà suffisante pour que l’on s’intéresse à lui. Mais lorsque nous avons croisé sa route à Tenerife, c’est son équipage qui nous a scotchés: trois femmes et deux hommes, chacun avec une expérience de la voile à faire pâlir d’envie. Et plusieurs vies avant elle.

 

Trois femmes sur un ponton. Déjà. Trois femmes à la queue leu-leu dans le port du San Miguel à neuf heures du matin, revenant de l’ascension de nuit du Teide, point culminant de Tenerife et d’Espagne. 3715 mètres d’altitude. Huit heures de marche. Trois femmes de 44, 39 et 28 ans passablement fatiguées, du coup, qui se dirigent à pas un peu lourds vers un voilier en aluminium de 16 mètres suréquipé, arrivé il y a deux jours. Bin ça intrigue. Alors quand le capitaine de Jade apprend que Caval’ou, car c’est son nom, est en route pour l’Antarctique, c’est la goutte d’eau. L’effervescence. L’invitation pour l’apéro fuse le jour-même.

 

« Recherche équipières expérimentées »

 

Depuis deux jours Marion, Inès et Clarisse attendent. Le propriétaire de Caval’ou, Harry, fait un dernier aller-retour en France avant le grand départ. Un dernier équipier, Boris, doit également arriver. Lorsqu’elles ne sont pas en train de suer en montagne ou de papoter devant un verre de rosé, les trois équipières chouchoutent leur destrier des mers : avitaillement, nettoyage, vérifications techniques. Dernière découverte de Marion : le bouchon de remplissage de l’huile moteur est cassé. Sans voiture et sans rien connaître aux magasins des environs, elle résout le souci en une journée.

 

 

Marion, c’est la première à avoir été recrutée pour cette traversée. Regard franc, voix posée. Œil critique, aussi. Le genre de personne à qui on confie les clés de la boutique sans hésiter. En mars dernier, elle a répondu à une annonce qu’Harry avait laissée sur le groupe Facebook « La voile pour les filles » : « Recherche équipières expérimentées pour une expédition en péninsule Antarctique en janvier prochain, préparation à partir de mai, départ en septembre ». Il venait d’acheter son bateau. « En fait, on s’est rencontrés le jour où il venait prendre en main Caval’ou. On a bossé dessus quinze jours en mai, quinze jours en juin, quelques jours en juillet… puis on l’a convoyé d’Arzal, dans le Morbihan, à La Rochelle. En gros, on n’avait fait que 20 heures de navigation dessus lorsqu’on est partis pour de bon, le 17 septembre ».

Clarisse a rejoint la petite équipe dans un second temps. Clarisse, c’est la fausse bougonne. Celle qui n’aime pas les photos. Celle qui parle peu mais qui quand elle parle, tape juste. Comme Marion, elle détient le brevet Capitaine 200. « Mais ma spécialité, c’est cook. C’est comme ça que j’ai commencé sur les bateaux, j’aime ça. De toute façon sur un voilier, il ne faut pas se marcher sur les pieds. Le cuisinier, il est essentiel à la bonne marche du navire et il a sa place. Ça me convient très bien ». Et Marion de se pencher vers moi pour préciser : « le problème c’est que nous, on fait à manger. Clarisse, elle cuisine. Tu saisis la nuance ? ». Je saisis.

Inès, c’est encore un autre profil. Lorsque Harry l’a contactée après avoir obtenu son numéro par le bouche-à-oreille sur un ponton de La Rochelle, elle terminait la Fastnet. « Inès, elle va plus affiner les réglages, travailler en détail sur la manière dont marche le bateau… », m’explique Marion. Inès a rejoint le bord un peu au dernier moment, en septembre, prise par ses régates, le Yacht Master qu’elle était en train de passer et par son déménagement… de Zambie. Si. Parce que pour ces trois femmes, la voile, c’est un peu une seconde vie.

 

 

Devenir marin

 

De sa voix douce et lorsqu’on insiste, la benjamine du groupe se raconte un peu : « j’ai travaillé plusieurs années dans les énergies renouvelables, en fait. Dernièrement j’étais en poste en Zambie. Avec le Covid, on m’a envoyée en Finlande. A la base, je suis de Toulon. J’ai vécu à Paris, à Rennes, à Londres. Mais je fais de la course à la voile depuis… longtemps ». Inès aimerait se lancer prochainement dans la Mini Transat. Voix douce mais regard noir, direct. On y croit.

Clarisse, elle, a travaillé plusieurs années dans l’industrie du luxe. Les défilés de mode. Elle a eu un électrochoc le jour où on lui a demandé de débourser 50 000 euros pour faire venir à Paris un prototype de pantalon qui n’a, au final, jamais été porté. « Ça n’avait plus aucun sens, pour moi, ce genre de trucs. La voile, j’ai découvert aux Antilles, où m’a meilleure amie s’est installée. J’ai décidé de me lancer. Mais je ne ferai pas ça toute ma vie. J’aimerais bosser de nouveau dans la production, mais quelque chose de plus authentique. La coutellerie, par exemple ».

Quant à Marion, son métier, c’est vétérinaire. Elle continue de faire des remplacements de temps en temps « pour mettre un peu de beurre dans les épinards ». Mais avec plusieurs engagements à son actif en tant qu’équipière sur des voiliers d’expédition en Groenland et en Antarctique, elle a clairement basculé du côté venteux de la Force. « Mon rêve, ce serait de pouvoir mixer les deux : les animaux et le bateau. Un truc à la Christophe Auguin, avec des fermes au Chili et un voilier dans le Grand Sud. Tu vois ? ». Je vois.

 

 

« Pour l’Antarctique, il faut un peu des muscles »

 

Le lendemain de l’apéro, les cheveux tirent un peu. Dans le cockpit de Jade, les bouteilles de rosé sont plus nombreuses que dans nos souvenirs de la veille. Harry et Boris atterrissent à Tenerife aujourd’hui. Les filles nous font visiter le bateau. Tout est prêt.

« Au début, Harry ne voulait que des équipières, pas d’équipier, m’explique Marion. Un équipage mixte sur un temps aussi long, ça lui semblait trop compliqué à gérer. Je me suis permise de lui dire que l’Antarctique, ça pouvait être physique. Qu’un homme dans la force de l’âge avec un peu des muscles, ça ne serait pas du luxe ». Harry a écouté.

Et Boris débarque. Boris et sa fine tête qui sourit, qui ne dit rien du tout tant qu’on ne lui pose pas de question mais qui s’envole dès qu’on le lance. « Je naviguais déjà tout petit, avec mes parents. Ils avaient un voilier de 10 mètres en aluminium, un Romanée. Le bateau est resté dans la famille. Il y a quatre ans, j’ai décidé de partir avec ». Seul ? « Seul ». Pendant deux ans et demi, Boris navigue en Méditerranée, à Madère, aux Canaries, au Cap-Vert, puis s’élance vers le Brésil, Ushuaia, la Patagonie. Avec de la visite de temps en temps, mais globalement en solo. On l’assomme de questions : et les mouillages en Patagonie ? Avec combien d’aussières à terre ? Et positionnées comment ? Combien de personnes ?… Boris livre ses astuces de bon cœur. Lui aussi a une double vie. A la base, il est charpentier. De temps à autres, il fait aussi péter des fusées pour une société de feux d’artifices. Histoire d’entretenir son statut d’intermittent du spectacle.

 

 

Reste Harry. Le capitaine. Le proprio. Celui qui a trouvé le bateau et a eu l’idée de motiver tout ce petit monde à naviguer jusqu’aux glaces. « En fait j’ai un autre bateau, en Polynésie. Un catamaran. Un jour, en discutant avec la skippeuse, on s’est pris à imaginer qu’on irait en Antarctique. Pour des raisons personnelles, elle n’a pas pu s’engager. Alors j’ai réuni un équipage ».  Ok. Mais cela ne répond pas tout à fait à ma question… L’Antarctique : pourquoi ? Harry réfléchit de nouveau quelques secondes. « En fait, je ne sais pas te répondre. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que quand je reviendrai en Polynésie après ça, ça aura plus de goût ». Réponse acceptée. Harry a, lui aussi, une vie à tiroirs. Elle a principalement consisté à vendre des avions, d’abord pour Airbus puis à son propre compte, après avoir été responsable technique pour Air Afrique pendant des années. Il aime à raconter qu’il est polonais par son père (donc un peu juif), espagnol par sa mère (donc un peu catholique), et qu’il a dû se convertir à l’Islam pour se rendre à La Mecque, pour le business. Il est né au Maroc mais vit aujourd’hui en Suisse. En fait Harry, il est d’un peu partout.

 

D’île en île jusqu’à l’océan Austral

 

Le 17 septembre dernier, donc, Caval’ou et son équipage presque au complet a quitté La Rochelle – Boris avait encore un chantier à terminer, que l’appel du large lui a fait boucler en un temps record. Première escale des aventuriers sur leur bateau d’expédition: l’île de Ré.  « Bin tu comprends… on peut pas prendre la mer un vendredi, m’explique Marion hochement de tête de Clarisse. Alors on a décidé de se prendre deux-trois jours au mouillage avant de se lancer dans le dur ». Puis ce fut le Golfe de Gascogne, « pas dantesque mais juste ce qu’il faut pour se familiariser avec le bateau : prendre des ris, enlever des ris, reprendre un ris… ». Seconde escale à Corme, en Galice, juste au-dessus du Cap Finisterre, puis Baiona et navigation directe jusqu’à l’île de Culatra, au Sud du Portugal. Le 8 octobre, Caval’ou a rallié le Nord des Canaries au niveau de l’île de la Graciosa. Puis Tenerife, où nous avons croisé son chemin.

 

 

A l’heure où j’écris ces lignes, après un arrêt rapide au Cap-Vert, Caval’ou et son équipage ont rallié en neuf jours Fernando de Noronha, une île du Nord du Brésil. Un paradis, paraît-il. L’étape d’après sera l’Uruguay ou l’Argentine, en fonction des ports que l’épidémie de Covid laissera ouverts. Puis direction Ushuaia, Porto Williams ou les îles Malouines, en tous cas un bon spot pour attendre la fenêtre météo vers la péninsule Antarctique. Démarrage de l’autorisation des TAAF : 2 janvier 2022. Caval’ou sait déjà que dans son sillage, en janvier 2025, un certain bateau rouge viendra frotter les glaces.

 

4 Comments

  1. Très intéressant cette source d’informations et cet échange avec Caval »ou.
    L’entraide du monde marin n’est pas un vain mot
    En complément de vos photos, j’ai visionné la série « Hierro » qui semble effectivement, être une île qui a une âme.
    Bonne préparation à vous deux, et mille merci pour ce feuilleton et ce « package images-écris » dont comme d’autres, j’attends avec impatience la suite 🙂

  2. On se régale toujours à vous suivre et à vous lire. Nous attendons avec impatience de pouvoir lire vos impressions sur votre traversée entre les Canaries et les îles du Cap Vert. Afin de ne rien regretter, profitez bien de ce dernier et bel archipel avant le départ pour votre transat. Nous espérons que vous y ferez de belles rencontres.
    Un grand merci.

  3. Merci pour cet article super intéressant. Le parcours de ces navigatrices est passionant.

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