Pacha Mama, le bateau-véto

Faire sept années d’études, démarrer sa carrière… et tout plaquer pour partir en bateau. C’est ce qu’ont fait Inès et Antoine en se lançant dans un tour du monde à la voile un peu particulier: d’une escale à l’autre, ils viennent en aide à des refuges vétérinaires. Rencontre Jade-Pacha Mama dans un coin de marina, en Martinique.

 

La Pointe du Bout, Martinique. Avec un nom pareil, j’imaginais trois pauvres cailloux au bout d’une presqu’île déserte. Je me suis trompée. Nous sommes à Disneyland. La Pointe du Bout est un village en carton-pâte où restos et boutiques de souvenirs se disputent le rez-de-chaussée de maisons de poupées aux toits pentus, couleurs pastels. Parmi elles, des dizaines de touristes en maillot errent. Et trouvent apparemment leur bonheur. Tout au bout de la Pointe du Bout, un petit carré d’eau sale clapote en silence au milieu de commerces abandonnés, écrasé par la chaleur. C’est la marina.

C’est ici que nous avons rendez-vous. Pacha Mama est juste là. Pour l’instant, ses deux équipiers ne nous ont pas vus. Dans la touffeur de ce début d’après-midi tropical, ils viennent d’étendre la lessive et de se servir un café dans le cockpit, à l’ombre d’une bâche posée sur le bimini. Ce sont Inès et ses yeux clairs qui nous repèrent en premier. « Attendez, je vais chercher Antoine ». Elle disparaît dans l’habitacle. Nawak, elle, nous a flairés depuis longtemps.

 

 

Quatre ans de préparation

 

Nawak, c’est la chienne berger. Elle a quatre ans et demi, et une tête à demander des câlins. Elle aboie un peu lorsqu’une annexe passe trop près. Elle n’aime pas trop ça, les annexes : « pour qu’elle accepte de monter dans la nôtre, il a fallu qu’on l’habitue en lui donnant à manger pendant plusieurs semaines dans un vieux zodiac au fond du jardin de mes parents », raconte Inès.  Il a aussi fallu que la jeune chienne apprenne à faire ses besoins à bord, quasiment sur commande. Elle en a fait, des efforts, pour suivre ses maitres dans leur aventure.

Antoine, ses cheveux mi-longs et sa barbiche soulèvent la bâche et nous invitent à partager le café. Il a tout juste trente ans, Inès en a 27. Et ils sont là, souriants, devant nous, une tasse à la main, hésitant encore un peu à nous raconter leur histoire. Nous, on ne peut s’empêcher de les trouver à la fois sympathiques, un peu fous et incroyablement posés. Cela fait quatre ans qu’ils se préparent pour ce voyage, qu’ils le construisent pas à pas. Quatre ans qu’ils mettent de côté, grâce au poste d’Antoine de consultant dans l’ingénierie aéronautique et aux missions vétérinaires qu’Inès a multipliées. « Ces dernières années, j’étais urgentiste sur des horaires de garde trois semaines par mois, et pendant ma semaine de « repos », je participais à des campagnes de prophylaxie : 400 prises de sang par jour à réaliser sur des vaches de plus de deux ans. C’est ingrat, et c’est dangereux : une fois, un coup de tête m’a envoyée aux urgences. Mais la moitié de l’argent que j’ai mis dans le projet vient de là ».

 

Inès, 27 ans, Antoine, 30 ans, et Nawak, quatre ans et demi.
Inès, 27 ans, Antoine, 30 ans, et Nawak, quatre ans et demi.

 

Le projet d’Inès et Antoine, c’est un tour du monde un peu particulier : un voyage à la voile avec escales dans des refuges vétérinaires dans le besoin. Pour Inès, la révélation est venue en 2017. Cette année-là, elle s’est retrouvée à travailler bénévolement dans un refuge du fin fond de la Thaïlande après avoir passé plusieurs mois de stage en Australie, à opérer des chevaux de course. « On leur ouvrait les voies respiratoires, on faisait de la chirurgie préventive pour éviter les blessures… c’était entièrement tourné vers l’argent. Ça m’a tellement dégoûtée que j’ai envisagé de tout laisser tomber. Je me suis jurée que je travaillerais dans l’associatif, soit maintenant, soit plus tard ». A la même époque,  Antoine, qui est aussi parti à l’étranger pendant ses études, en Thaïlande et en Argentine, commence à se poser beaucoup de questions sur son travail : « quel était vraiment le bénéfice de ce que je faisais, au quotidien, pour la société autour de moi ? Si ce n’est de faire faire des économies à mes clients ? Je rentrais à la maison le soir de plus en plus déprimé ».

 

Le saut dans le grand bain

 

On passe du café à la tisane – il ne s’agirait pas, dans toute cette moiteur en suspension, de trop s’énerver. Nawak s’est allongée sur le sol du cockpit et a posé sa tête brune sur mon pied gauche. Elle écoute. « Bon, faut l’avouer : on est tous les deux assez ambitieux. Quand tu as fait sept ans d’études pendant lesquels on t’a sans cesse poussé à la compétition, il ne peut pas trop en être autrement. Alors démissionner comme on l’a fait… c’était pas une mince affaire ».

Inès et Antoine sont partis de Gruissan le 8 octobre 2021. Inès avait arrêté de travailler quelques jours avant, et Antoine, le mois précédent. Pendant huit mois, ils avaient préparé leur bateau, un Oceanis 390 de 1988 acheté à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Au début, on n’a pas eu le coup de cœur. Le bateau était mal hiverné, les hublots fuyaient sur les matelas… pas vraiment la vie de rêve sur un voilier comme on l’imaginait. Mais il était déjà super bien équipé – panneaux solaires, éolienne, désalinisateur… Ça nous a fait gagner beaucoup de temps ». Et puis il y avait le nom du bateau, qui résonnait joliment dans la mémoire d’Antoine : « en Amérique Latine, Pacha Mama, c’est la terre mère nourricière. Je me suis revu au fin fond de l’Argentine en train de présenter des feuilles de coca au soleil pour demander à la Pacha Mama si je pouvais gravir sa montagne… ». Un signe, quoi.

 

 

Le trio est donc parti à l’aventure dans la grisaille de la Méditerranée en automne. « Franchement, on était débutants. On avait fait des stages aux Glénans – quatre en un an, tout de même – mais le hauturier, on découvrait. Sans bien connaître encore notre bateau, en plus ». La météo changeante du coin les fait progresser vite, et vivre leurs premiers vrais frissons en mer – comme la fois où, entre les Baléares et la côte espagnole, la cadène de l’étais de génois a cassé au petit matin et qu’ils ont cru que le mât se retrouverait sur le pont. « Après la Méditerranée, l’Atlantique c’était… confort et réconfort ! ». Inès laisse Antoine faire la première longue traversée de Pacha Mama, de Malaga aux Canaries, sans elle, avec trois équipiers – car Nawak a eu la bonne idée de se déchirer la vessie après un rattrapage acrobatique sur un ponton trop haut. La chienne a failli y rester. Puis c’est tous les trois, encore avec équipiers, qu’ils rejoignent le Cap-Vert, puis se lancent dans la Transatlantique. «  la navigation la plus simple qu’on ait faite : tirer des bords sous spi dans 10 nœuds de vent au milieu du rien, c’est juste génial ! ».

 

« On a traversé, on peut entrer dans le dur ».

 

Une annexe passe à coups de pétards de moteur, et interrompt le récit. Nawak lève la tête, son museau frétille quelques secondes dans les airs. C’est à peu près cette tête qu’elle devait avoir lorsque, le 16 janvier, Pacha Mama est passé sous le vent de la Désirade avant de rallier le petit port de Saint-François, en Guadeloupe. « On l’avait fait. On avait traversé. Là on s’est dit que le projet était bien réel, qu’on en était capables. On s’est mis à contacter des associations vétérinaires. On pouvait entrer dans le dur ». Les recherches d’Inès la mettent rapidement sur la voie d’un refuge pour animaux en Dominique, juste au Sud de la Guadeloupe. Pacha Mama y passera trois semaines, dont la moitié au mouillage devant la capitale, Roseau, où se situe le Saint Nicholas Rescue Center du docteur Naderkhani. Elle accueille leur aide les bras grands ouverts. Inès lui prête main forte pendant dix jours pour des stérilisations, des soins sur des animaux errants. Elle vient en aide à un éleveur du coin dont le troupeau de chèvres, son gagne-pain, subit de lourdes pertes depuis un an. Antoine l’assiste pour les soins de base et s’attelle à la construction d’un abri pour le chenil de l’association. « Dix jours c’est court, mais ça n’est qu’un premier contact. Si on arrive à motiver d’autres vétérinaires, on reviendra à l’automne pour une campagne de stérilisation ». Ils ont aussi demandé à des copains qui viennent leur rendre visite en Martinique de remplir leurs valises de cathéters, de perfusions, de médicaments… qu’ils livreront en Dominique. «  On découvre les besoins énormes de ces refuges associatifs. Cette fois on demande aux copains, mais on va rationaliser un peu tout ça ».

 

 

Si nous rencontrons Inès et Antoine aujourd’hui, c’est qu’ils ont besoin de faire connaître leur projet. Leur but : motiver des vétérinaires à les rejoindre, rassembler des fonds pour acheter puis acheminer des médicaments et du matériel vers les zones qui en ont le plus besoin… « En s’occupant des animaux, toujours, indirectement, c’est aux hommes que l’on vient en aide », explique Inès. « En Polynésie par exemple, les besoins sont énormes : les parasites et la rage sont transmis à l’Homme, et la surpopulation de chiens errants les rend agressifs et dangereux. Pour sûr, on passera du temps là-bas ». En attendant, l’arc antillais leur donnera déjà du fil à retordre : ils ont pris contact avec des associations aux Grenadines, à Grenade, à Saint-Kitts-et-Nevis, Antigua, Porto Rico… « Là, on se pose deux mois en Martinique pour travailler et renflouer la caisse de bord. On avait prévu un voyage sur trois ans, mais il y a tellement de besoins… ». L’avenir? Boah… On verra plus tard.

 

Pour plus d’informations sur l’association d’Inès et Antoine: www.sailofsolidarity.org (ou page Facebook: @sailofsolidarity).

 

Mouillage seuls au monde à l'anse Canot, Marie-Galante. © Inès Fruit et Antoine Ziegler
Mouillage seuls au monde à l’anse Canot, Marie-Galante. © Inès Fruit et Antoine Ziegler

7 Comments

  1. La voilà, la mouvance de « la voile », débordant de solidarité et d’entr’aide. Chapeau !
    Dommage que nous ne puissions plus, à divers plans, y participer directement. Ce qui n’empêche pas l’indirect
    Bonne continuation à Jade et Pacha Mama….
    Edith et Roger

  2. Merci Edith, merci Roger. N’hésitez-pas à aller faire un tour sur leur site internet, si le cœur vous en dit…
    En attendant, on vous embrasse bien fort depuis Antigua!

  3. Bonjour à vous deux ! Quelle aventure si jeunes, bravo à vous ! Nous sommes un couple de la cinquantaine avec OZIO un chat 🐈‍⬛ noir de 10 mois. Très bien habitué puisque nous l’avons adopté à 3 mois.
    Bon vent !

  4. La classe de Cm1 / Cm2 de l’école des Champs Géraux suit votre périple et vous souhaite bon courage pour la suite des évènements.
    Nous trouvons vos photos très jolies.
    Marion (la soeur d’Antoine) et sa classe.

  5. Chapeau!! belle aventure humaine et ….animale
    « Ne changez pas les réglages » amitié b.

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