ON THE ROAD dans les montagnes colombiennes

Une fois n’est pas coutume: la Balade de Jade prend la route. On pensait partir deux semaines, ce fut trois. Villes, campagnes, fleuves, lacs, montagnes… de -40 à +4 000 mètres d’altitude, sur quatre voies ou pistes en terre, attachez votre ceinture, notre petite voiture de location passe partout! 

 

 

 

 

16 novembre 2022 – De Santa-Marta à Mompos

6 heures, marina de Santa Marta – Mal dormi. Comme toutes les veilles de grand départ. Hier, n’avons pas eu le temps de préparer nos bagages car cafés et apéros se sont succédés à bord de Jade : avec Alain et Lydia du voilier Kokopelli, Laetitia et Alain de Tamhatam, puis Tiphaine et Antoine de Papy III. Chacun avec ses guides de voyage sous le bras et ses tas de conseils à revendre. Fin de journée à bord d’un autre bateau, celui juste en face, propriété de Timothy, un belge installé ici depuis quatre ans. Nous a promis de garder un œil sur notre Jadounette en notre absence.

13h30, village d’Astrea – C’est parti! Avons quitté il y a une heure la grand-route qui relie Santa Marta à Bucaramanga. Déjeuner pour six euros à deux sur une petite terrasse fleurie d’Astrea, soupe et plat complet, boissons comprises. Le monsieur qui nous sert n’en revient pas que nous soyons français.

 

 

21h10, Mompos – PAS POSSIBLE D’ETRE AUSSI C… ! Ne jamais suivre ce qu’indique Google Maps sans se poser de questions. JAMAIS. Tout allait bien jusqu’au déjeuner. Au sortir de la petite ville d’Astrea, la route est devenue piste. Grande piste. Bien carrossable. Puis la piste est devenue chemin. Et le chemin… mauvais chemin. Plus de voitures sur le parcours : des motos, des camions. Et certainement aucune berline aussi basse que la nôtre. Nous approchions tout de même du Rio Magdalena, à peu près confiants. La ciénaga, ce paysage serein de plaine à moitié inondée, était belle. Les zébus au milieu de la route et leurs maîtres-cowboys à chapeau plat étaient beaux. Mais une fois arrivés devant le fleuve : pas de pont.

Google Maps nous a conduits tout droit, via une piste défoncée que nous avons suivie tout l’après-midi, vers un bac qui n’est pas là. Les deux ponts existants sont chacun à 20 kilomètres de notre position, vers l’Est ou vers l’Ouest. Tentons de rejoindre le premier. Pas longtemps. Il a tellement plu ces dernières semaines que tous les chemins sont inondés. Les gens d’ici disent qu’ils n’ont jamais vu ça. Faisons demi-tour, tentons d’atteindre le deuxième pont. Sommes arrêtés au bout de cinq kilomètres par le Magdalena lui-même, qui recouvre la piste. Et par cette route-ci ? Agua mala, nous disent les gens. Même un 4×4 ne passerait pas. La ville de Mompos, où nous attend le lit douillet de l’hôtel que nous avons réservé, est juste devant nous. De l’autre côté d’un fleuve que nous ne pouvons pas traverser.

Le soleil descend. Christophe insiste : « va parler aux gens, on s’en fout de tes complexes avec l’espagnol! ». Trois types sur une moto finissent par lâcher une information importante : il y a un bac, il n’est juste pas là où la Google dit qu’il est. Il faut retraverser le village inondé de San Sebastian. Si si, la route est praticable. Le bac fonctionne jusqu’à la tombée de la nuit. Enfin, si j’ai bien compris. Une demi-heure plus tard, nous voici embarqués derniers d’un convoi de six véhicules sur une barge minuscule, une roue quasiment au-dessus du vide, pour traverser le plus grand fleuve de Colombie aux dernières lueurs du jour.

 

ROAD TRIP COLOMBIE, jour 1: l’aventure commence!

 

17 novembre 2022 – Mompos

12h30 – Déjeuner en terrasse du Comedor Costeño au bord du fleuve. Canard en sauce avec riz coco conseillé par José, notre guide du matin – « mais attention, prenez bien une table avec parasol et non sous un arbre, sinon gare aux cacas d’iguanes dans votre assiette ! ».

Le rio Magdalena tout brun charrie des plaques de jacinthes d’eau vert émeraude. « Comme la vie est lente / Comme cette eau courante ». De temps à autre, une barque traverse. Un oiseau. Écrire à Mompos, à 40 mètres sous le niveau de la mer… Cité déchue, tombée dans l’oubli le jour où la navigation sur le Magdalena a préféré emprunter un autre bras du fleuve. Histoires de conquistadores espagnols venus faire fortune dans les mines du coin, puis repartis s’acheter un titre de comte ou de marquis à Madrid. Histoires de choléra, de tombes creusées dans les patios des maisons, de lingots d’or retrouvés dans leurs murs. Histoire, enfin, des 400 hommes rameutés ici par Simon Bolivar pour marcher fièrement jusqu’à Caracas et arracher l’indépendance.

Un jeune homme vient de s’installer de l’autre côté de la route, et chante. Les clients du restaurant fredonnent en cœur, le nez dans leur limonada de panela. Nous sommes les seuls à ne pas connaître les paroles.

 

 

18 novembre 2022 – De Mompos à Girón

7h30, Mompos – Dans la presse ce matin : « les pluies diluviennes en Colombie ont fait au moins 271 morts », « saison des pluies la plus forte depuis 40 ans », « 750 000 personnes affectées dans les 32 départements du pays ». 

10 heures, sur la route – Traversée de l’immense ciénaga inondée. Un paysage qui, au-delà des pluies particulièrement importantes de cette année, semble fait pour ça : encaisser des crues. Hérons, rapaces et grandes grues s’y complaisent. Les zébus, lorsqu’ils ne sont pas allongés au milieu de la route, broutent les herbes hautes avec de l’eau jusqu’aux genoux. Les seuls que tout cela semble perturber, ce sont les Hommes. Habitants des berges d’un fleuve sans berges. On ne distingue plus les marais du fleuve, un bras de l’autre. Le Magdalena est sauvage et il s’en fout : son lit s’étend, s’il le souhaite, sur des centaines de kilomètres.

 

 

13 heures, sur la grand-route – Sur les panneaux de signalisation à fond jaune : une vache, un renard, un singe, un tamanoir, une sorte de rat. Il doit y avoir un naturaliste perdu dans le bureau des ponts-et-chaussées de Bogotá.

14h45 – La campagne bucolique cède progressivement la place à la forêt. Les files de camions se succèdent dans les virages. On monte en altitude.

21 heures, Girón – Arrivée chaotique à Bucaramanga dans les bouchons, de nuit, après sept heures de route. Girón en est la banlieue ancienne et plutôt chic, où les habitants aisés de la grande ville viennent, semble-t-il, passer la soirée. On tourne encore une heure pour trouver l’hôtel, puis une place où laisser la voiture. Dodo.

 

19 novembre 2022 – De Girón à Barichara

14h30, sur la route – Venons de passer le canyon de Chicamocha. Montagnes verdoyantes. Excepté une chèvre ou un bananier de temps à autre, on se croirait en Europe: une petite départementale française bordée de vert sur la carte Michelin. Ici, c’est la route principale qui relie la côte à la capitale.

 

Le canyon de Chicamocha, paradis des amateurs de parapente.
Le canyon de Chicamocha, paradis des amateurs de parapente.

 

15h30, Barichara – Accueillis à notre petit hôtel par Esteban, 16 ans, fils ainé de la patronne. Trois mots d’anglais, quatre d’espagnol, et ses yeux s’écarquillent : vous voyagez en bateau ? VOTRE bateau ? Mais… c’est possible de traverser un océan comme ça, tous seuls ? Le petit frère Adrian, assis derrière nous avec un Rubik’s Cube à la main, écoute attentivement. Les deux garçons et leur mère Lina ont quitté la vie trépidante de Bogotá il y a un an pour venir ouvrir un hôtel ici. « Una vida muy differente ! ». Eux aussi ont fait un choix fort: partir.

 

20 novembre 2022 – Barichara

6 heures – Ouvrir les yeux et se retrouver, parce qu’on a suivi le conseil de Lina de dormir la fenêtre ouverte car il n’y a pas de moustiques, face à la Cordillera de los Cobardes qui blêmit dans le matin.

11 heures – Accueillis à Guane par les cloches de l’église, le bêlement des chèvres, et une musique latino-douce à base de « mi corazon » qui sort de la première maison du village. Le Camino Real nous a conduits en deux heures de marche de Barichara, le village-tout-blanc-d’en-haut, à Guane, celui d’en-bas. Sirotons notre limonada de panela en terrasse pendant que les Guaneros sont à la messe. Allons-nous remonter à Barichara à pied comme des vrais (option Christophe) ou en tuk-tuk pour raviver nos souvenirs africains et parce qu’on a les mollets qui tirent un peu (option Estelle) ? Nos questions existentielles du jour ne vont pas chercher très loin. C’est qu’on doit être bien.

 

 

21 novembre 2022 – De Barichara à Guadalupe

10h30 – De nouveau sur la route. Voiture dans les nuages, on continue de monter en altitude. Hier soir à Barichara, pour la première fois du voyage, on a sorti les sweats.

11 heures – Depuis que nous avons quitté la grande route, croisons régulièrement de grands panneaux jaunes annonçant une « zone géologiquement instable ». Immanquablement, 100 mètres derrière, la route est à moitié effondrée dans le ravin.

12h30 – Déjeuner à Guadalupe-sur-sa-colline. Village flanqué d’une église dix fois trop grande pour lui – construite en 1950 et avec projets d’agrandissement : en Colombie, on construit encore des églises. Au carrefour des deux rues principales du village, un 4×4 arrêté balance sa musique à fond par ses quatre portières grandes ouvertes – plus le coffre. Les messieurs à bottes, chemise et chapeau plat semblent s’en accommoder sans problème. Ici, aucun touriste : des agriculteurs et des écoliers en pause-dèj, et comme toujours, des chiens qui trainent.

J’imaginais les montagnes colombiennes comme une immense forêt vierge. Sommes au milieu des vaches et des fleurs, sur fond de collines vert tendre. La Suisse, quoi.

 

 

22 novembre 2022 – 20h30, Villa de Leyva

La montagne. On y est. Avec Villa de Leyva et ses 2 100 mètres d’altitude, avons encore perdu quelques degrés. Ce soir, les polaires ont remplacé les sweats. Et le chocolat chaud, la limonade.

 

 Villa de Leyva est très connue pour sa Plaza Mayor qui, avec ses 120mx120m, est l'une des plus grandes places d'Amérique latine.
Villa de Leyva est très connue pour sa Plaza Mayor qui, avec ses 120mx120m, est l’une des plus grandes places d’Amérique latine.

 

24 novembre 2022 – De Villa de Leyva au lac de Tota

10h30 – Quitté Villa de Leyva ce matin. Continuons de monter, cette fois via une grande et belle quatre voies dans la montagne. Bogotá n’est plus très loin. Le paysage est bigrement européen : sapins, prés à vaches. Il fait 14 degrés. Les Alpes en été. Ah tiens non : une vache qui broute au bord de l’autoroute, un bus arrêté en pleine voie d’accélération. C’est bien la Colombie.

12h45 – Le lac de Tota vient d’apparaitre au détour d’un virage. Immense flaque d’un bleu-vert laiteux blottie dans ses collines. Sur ses berges, du vert en rangs d’oignons sur des kilomètres. Au loin, l’orage gronde.

14 heures – Venons de déjeuner d’une truite en sauce dans le restaurant de l’hôtel que nous avions réservé au bord du lac. Ambiance chalet sur la lagune, cheminée, décos de Noël. Au moment de l’addition, la petite dame s’excuse : impossible pour nous de rester dormir ici, les dernières pluies ont emporté un morceau du terrain, il n’y a plus d’eau dans tout l’établissement. Nous étions ses seuls clients.

15 heures – Tous les hôtels des environs sont fermés. Traversons Aquitania, la bourgade commerçante du coin, sous le déluge.

16 heures – Venons de faire ouvrir un hôtel rien que pour nous. Une jeune femme à bonnet rose qui était là, Jasmine, a bien voulu appeler le señor, qui a bien voulu de notre argent pour deux nuits. Par contre, pas de petit-déjeuner. Ni de dîner. « Mais les cabanes ont une cuisine avec tout ce qu’il faut, vous pourrez cuisiner ». Nous voici repartis pour Aquitania et la première supérette qui vendra du pain, du thé, des pâtes.

17h30 – Avons trouvé une panaderia, une supérette et un poncho traditionnel. Sauvés. Ce soir, ce sera soupe instantanée et arepa au fromage face à notre vue panoramique sur le lac. Coqs en pâte.

 

25 novembre 2022 – Lac de Tota

8 heures – Il a plu toute la nuit sur le toit en tôle de notre cabane. Pas eu froid : le poêle à bois, alimenté à trois heures du matin par un Christophe somnambule, a bien fonctionné. Des trouées bleues grandissent dans le ciel.

10h30 – Balade sur la presqu’île. L’air embaume le cebolla, cultivé en rangs serrés sur des kilomètres à la ronde. Dans les champs, croisons des ouvriers pliés en deux pour ramasser les plants d’oignons, les porter en fagots sur leur dos jusqu’au camion, les traiter à grosses doses d’insecticide qu’ils portent dans des bidons comme une hotte de père Noël. Quelques femmes, aussi, dont une qui est venue au champ avec sa poussette et qui prend une pause de cinq minutes pour nourrir son bébé. Sur le lac, second plus grand lac d’altitude navigable d’Amérique du Sud après le Titicaca, aucun bateau. Est-ce la légende muisca de la Diabloballena cachée dans ses profondeurs qui dissuade les pêcheurs ? Dès qu’il y a un lac, les Hommes y trouvent un monstre. Pourtant ici, d’après le menu des restaurants d’Aquitania, il y a aussi de la truite.

12h30 –  Retour à la cabane. Est-ce l’effet lac ? L’effet 3 000 mètres ? Le temps s’est arrêté.

 

 

26 novembre 2022 – Du lac de Tota à Tunja

10h, sur la piste entre Pesca et Toca – Ce matin, contre l’avis de Jasmine à qui nous avions posé la question, avons décidé de prendre au plus court pour rejoindre la ville de Tunja, notre dernière étape avant Bogotá. Piste sur près de 50 kilomètres. Nous le savions. On tente jusqu’au premier patelin : Tota. Ça passe. Puis le second : Pesca. Passe encore. Dernière possibilité de rejoindre une route digne de ce nom, mais il serait tellement frustrant d’arrêter ici l’aventure… On tente le troisième village?

10h30 – J’écris ces lignes alors que nous passons le dernier col avant la grande ville. Le thermomètre de la voiture annonce dix degrés. La flore a complètement changé. La fonction relief de Google Maps (encore lui !) indique 4 000 mètres d’altitude. Il y a cinq minutes, une femme dont l’âne ne quittait pas le milieu de la route nous a dit que jusqu’en bas, ça passait.

 

 

27 novembre 2022 – De Tunja à Bogotá

10 heures – Un dimanche vers Bogotá. Sur la quatre voies, un nombre incalculable de cyclistes en grande tenue. Parfois, on en croise un le long de la plateforme centrale, à contre-sens.

Aujourd’hui donc, rendons notre voiture à l’aéroport de la capitale. Notre dernière étape, Tunja, n’aura pas servi à grand-chose : une étape pratique à laquelle le Lonely Planet consacrait un encadré du style « ville charmante trop ignorée des touristes », une Plaza Mayor immense (avec statue réglementaire du Libertador au milieu), puis pas grand-chose. Un hôtel glauque dont nous étions les seuls clients. Christophe s’est beaucoup moqué de l’étape de charme que je nous avais concocté.

15h30, Bogotá – En traversant la ville d’Est en Ouest sous la pluie avec notre taxi, parmi les tours d’immeubles de cette cité de 10 millions d’habitants perchée à 2500 mètres d’altitude, une pensée : Bogotá est triste. Est-ce parce que je viens de lire un passage de Gabriel Garcia Marquez consacré aux événements du 9 avril 1948, qui ont mis la ville à feu et à sang, détruisant une bonne partie du centre historique? Quoiqu’il en soit, Bogotá est neuve, et Bogotá est grise.

21 heures – La carrera Septima le soir :  marchands de super perros, de ballons en hélium, de poulet grillé, de pomada de coca y marijuana, de churros, de barbes à papa roses ou bleues, de t-shirts Mickael Jordan, de peluches, de chapeaux, de mandarines à pleines brouettes ; promeneurs de lamas en laisse (photos pour deux pesos) ; chanteurs (justes ou faux), danseurs ; mecs peints en or ou en argent qui bougent quand on leur donne une pièce, mec qui tient une cigarette allumée entre ses doigts tout en marchant sur des tessons de bouteilles, mec sans bras qui joue du piano avec ses pieds ; humoristes avec cercles de curieux tout autour (on passe le plus loin possible pour ne pas être pris à partie, situation particulièrement désagréable dans une langue qu’on ne comprend qu’à moitié) ; messieurs qui jouent aux échecs sur des tables en plastique, hyper-concentrés au milieu du chaos. Dans tout ça, des flics et des fliquettes à gilet fluo qui déambulent, un verre à la main rempli de morceaux de fruits, papotant au passage avec le marchand de graines pour pigeons de la place Bolivar. Et de toutes ces couleurs, qui dégouline de partout, une sacrée misère.

 

 

29 novembre 2022, 15h30 – Bogotá

Sortons tout juste du Musée de l’Or. Y avons passé plus de trois heures. Par la valeur et la qualité des objets exposés, par la clarté et la modernité de sa muséographie, l’un de plus beaux musées que j’aie visité. On en ressort un peu chamboulé, comme au sortir d’un bon film. Des questions plein la tête sur nous-mêmes, sur le fonctionnement de notre société, en miroir de ces sociétés préhispaniques qui respectaient animaux et plantes, savaient écouter leur corps, pratiquaient une méditation que nous redécouvrons à peine. Mais sacrifiaient à l’occasion, et c’est à peine évoqué pendant la visite, quelques humains… Tiens, il pleut.

 

30 novembre 2022 – Bogotá

11h30, colline de Montserrate – Bogotá n’est décidément pas photogénique. Même depuis un promontoire à 3 150 mètres d’altitude au-dessus de la ville – et en ayant calculé notre coup pour profiter du seul rayon de soleil de la journée, la capitale colombienne reste grise.

 

Dans le funiculaire de Montserrate, à 3 150 mètres d’altitude (Bogotá s’étale dans une grande plaine d’altitude à environ 2 500 mètres).

 

16h30, Plaza Bolivar – Les pigeons ont investi la place. Comme sur la place Saint-Marc, les touristes ont acheté quelques graines et posent, les bras en croix, des volatiles plein les manches. Pauvre Venise… Après trois jours ici, Bogotá reste triste. Christophe, un ami à moi expatrié depuis deux ans ici avec qui nous avons bu un verre hier soir, nous le confirme: même après 15 ans de vie en Tanzanie, la misère sociale de la capitale colombienne l’a choqué. Tellement de gens, ici, ne vivent que de l’aumône des passants… un coup de Covid et hop, les passants ne passent plus. Et la ville se meurt.

 

1er décembre 2022, 18h30 – Medellín

Quel contraste entre Bogotá-la-grise, la sombre, et Medellín toute en couleurs sous le soleil! De l’une à l’autre, avons perdu 1 000 mètres d’altitude et gagné 10 degrés au thermomètre. Le quartier de notre hôtel, où le taxi nous a déposé depuis l’aéroport, pourrait être européen: El Poblado, quartier branché pour touristes et jeunesse dorée colombienne. On se boit un cocktail qui coûte aussi cher qu’un menu complet dans nombre de montagnes que nous avons traversées ces dernières semaines. On en oublierait presque qu’il y a trente ans à peine la ville, contrôlée dans l’ombre par Pablo Escobar et ses acolytes, était un coupe-gorge à ciel ouvert. Jusqu’à ce que nos yeux tombent, entre deux terrasses restos chics, sur un policier en gilet pare-balles.

 

2 décembre 2022, 9h30 – Medellín

Les bâtiments en brique rapetissent à mesure que le métro se rapproche de la station San Javier. Enfin, nous y sommes. Au cœur de la Comuna 13. Ce quartier de Medellín longtemps gangréné par le trafic de drogue, le plus dangereux de la ville. Il y a six ans à peine, nous n’aurions pas pu songer y mettre les pieds.

Jackson, notre guide de 28 ans, nous raconte les opérations militaires de 2002 destinées à « nettoyer le quartier »: des ruelles écrasées sous les tirs de missiles de l’armée et des paramiliatires, un nombre de morts que l’on ne connaîtra jamais, voyous et civils pêle-mêle, enterrés pour beaucoup dans une fosse commune creusée dans la colline, là-bas. Puis en 2016, la trêve signée avec les FARC, la colère des uns et des autres canalisée par les « community leaders » du quartier: « laissez tomber vos kalachs mes frères, prenez vos pinceaux et exprimez-la sur les murs ». De magnifiques graffitis, certes. Mais une histoire trop simple. Jackson nous sert la soupe officielle de Medellín « symbole du changement », « modèle de transformation » mais n’oublie pas de préciser, entre deux virgules, que si nous nous promenons sans danger aujourd’hui dans les rues de son quartier, c’est parce que les gangs, toujours là, assurent notre protection. Ils ont simplement décidé que les dividendes du tourisme pouvaient judicieusement compléter ceux de la coca – dont la Colombie reste le premier exportateur mondial.

 

 

3décembre 2022, 21h30 – Medellín

Aujourd’hui, balade dans les collines des alentours de Medellín en compagnie de Pablo, un ami colombien de Christophe. Lui aussi, dans la voiture, ne peut s’empêcher de parler politique – nous l’y poussons un peu. Lui aussi parle du changement de son pays, qu’il juge globalement positif, mais avec réserves et nuances. Il doit y avoir autant d’avis sur l’histoire récente colombienne que de Colombiens. Bon signe malgré tout: les gens en parlent.

 

5 décembre 2022 – Retour à Santa Marta

13 heures – Le train d’atterrissage de l’avion frôle la cime des vagues. Une dizaine de pétroliers sont en attente, au large. La mer nous avait manqué.

15 heures, marina de Santa Marta – Jade est là, fidèle au poste. À peine à l’intérieur, on troque le pantalon pour le short, les baskets pour les tongs. Envie irrépressible de faire une sieste.

 

6 décembre 2022 , 8 heures – Marina de Santa Marta

De retour à la maison. Au bateau. Retrouvailles émues avec le tangage léger de notre lit, la nuit.

Rentrés hier et déjà, nous nous apprêtons à repartir. Journée courses-papiers-check technique afin de hisser les voiles dès l’aube demain matin, direction le Panama. Là-bas nous attendent Stanley, l’agent qui doit organiser l’inspection de Jade afin de fixer la date de notre passage du canal, ainsi que Gaelle et Manu, deux encore-inconnus à qui nous allons prêter main forte la semaine prochaine pour le passage de leur propre voilier. Entrainement en conditions réelles. Les choses sérieuses vont commencer.

 

7 Comments

  1. Quelle aventure ! Sur mer ou sur terre vous vivez des moments intenses. Quel pays ! Ça donne envie de s’y perdre et en même temps une légère peur par rapport à son histoire et aux cartels toujours existants. J’ai fait une copie de votre trajet. On va s’en inspirer. Encore bravo pour le style…un petit quelque chose de Garcia Marquez, l’aventure, l’extravagance des situations et une vraie poésie entre les lignes !

  2. Cool d’avori réussi à faire un one-way avec la voiture ! (et dene pas l’avori trop cassée sur les petits chemins qui sentent pas toujours la noisette…

  3. Merci Abdel, merci Wafaa! Passez de bonnes fêtes les amis! On espere que tout va bien pour vous. On vous embrasse.

  4. Trip très sympa en tous cas Jac, on a rendu la voiture en un seul morceau! Le capitaine de Jade est aussi un bon conducteur sur pistes. 😉

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