Northabout, le voilier polaire qui a ressuscité
Il a fait le tour du pôle Nord. Deux fois. Aujourd’hui, le voilier de l’aventurier David Hempleman-Adams est passé dans les mains de deux trentenaires, Tobias et Sophie, qui l’emploient à témoigner des impacts du changement climatique. Après trois mois d’expédition au Groenland, les voici à La Rochelle. Même ponton que Jade. On a papoté.
On a failli le rater. On nous avait dit 18h, puis 19h… Finalement, il a choisi pile l’heure qu’il fallait : trois minutes avant le coucher du soleil. Juste à temps pour la photo. Lorsque le Northabout a pointé le bout de son étrave dans le bassin des Chalutiers de La Rochelle, ce 21 octobre, les baies vitrées de l’Aquarium ont rayonné de rose. Jade et nous, on était au spectacle.
Sur le pont, quatre silhouettes rouges à capuche jaune, droites, silencieuses, concentrées sur l’arrivée. A la barre : Sophie, 28 ans, directrice d’expédition. A la proue, une amarre en main : Tobias, 31 ans. Le capitaine. Les deux jeunes marins reviennent de trois mois passés au Sud du Groenland à aider plusieurs équipes scientifiques spécialistes des impacts du changement climatique. Recul des glaciers, modification de la salinité de l’eau de mer, changements de modes de vie des populations du Grand Nord… Ils sont de la génération qui en entend parler tous les jours. Alors ils ont décidé d’aller voir par eux-mêmes.
« On a fait un prêt pour acheter un bateau… qui coulait »
Il fallait d’abord un bateau. Et le budget était… limité. Tobias et Sophie ont cru trouver la bête rare sous la forme d’un Swanson 36, un voilier australien de 11 mètres construit en 1977. Pas du tout un bateau polaire. Mais La Rochelle est une terre de préparateurs de bateaux, ont-ils pensé, ils vont bien pouvoir te me nous le transformer en deux temps trois mouvements. Réponse des experts : vous êtes des fous. « On n’avait pas un sou, raconte Sophie. Tobias revenait de quatre ans de vadrouille sur son bateau et moi, de trois ans de bateau-stop… Un bateau en alu, on savait que c’était un énorme budget. Qu’on n’avait pas. »
Les deux aventuriers s’étaient rencontrés quelques mois plus tôt, en février 2019, sur les quais de Cape Town, Afrique du Sud. Sophie cherchait un bateau sur lequel embarquer, avec déjà en tête de tenter sa chance sur un bateau scientifique : pourquoi pas la goélette Tara ou une expédition Under the Pole ? C’était soit ça, soit tenter de monter son propre projet. Et puis… Tobias est passé par là. Quelques jours plus tard ils partaient ensemble, sur le bateau de Tobias, direction le Brésil : 33 jours de mer pour se découvrir les mêmes passions, le même engagement, les mêmes envies. « On a lancé l’assoc’ dès qu’on est arrivés dans les Caraïbes, se souvient Tobias. Quand on en est repartis, Sophie avait déjà appelé tous les labos de recherche, plein de sponsors potentiels. Quand on est arrivés à La Rochelle on n’avait pas un rond, mais on avait le truc en tête ». Puis La Rochelle leur a proposé un stand au Grand Pavois 2019. Les dés étaient jetés.
Restait tout de même un petit détail à régler : le bateau. C’est en tombant sur un livre, Northabout : Sailing the North East and North West Passages, qu’ils ont la révélation. Northabout est un bateau polaire de légende, qui a déjà traversé deux fois le passage du Nord-Ouest, là-haut tout là-haut dans l’océan Arctique. Son propriétaire : un lord anglais, Sir David Hempleman-Adams, aventurier de son état. Tobias et Sophie tentent leur chance en se rendant à Bristol, dans le Sud-Ouest du Royaume-Uni. « Et là, assez vite, on apprend que le Northabout n’est pas à vendre… parce qu’il coule ! ». Le bateau a un trou. Et ce, malgré l’acharnement d’un expert de la navigation polaire sur la coque pendant plusieurs mois. « Mais ils ont bien aimé notre projet, alors ils nous ont quand même vendu le bateau, explique Sophie. Avec le puits de dérive endommagé, donc. Après tout, le métier de Tobias, c’était la construction. On a fait le pari qu’il s’en sortirait. ». Analyse de l’intéressé : « bin c’est de l’alu quoi… ya pas de raison, ça se soude ».
Northabout : rencontre avec une légende
Tobias et Sophie passent des mois à échanger emails et dessins avec des architectes navals spécialistes des structures en aluminium. Ils avancent. Et se laissent surprendre, en Angleterre, par la première vague de Covid 19. « Au final c’était pas si mal, concède Tobias, on a eu le temps de contacter tout le monde, de résoudre le problème… et de connaître un peu mieux le bateau ».
Northabout est un dériveur en aluminium de 15 mètres de long. Trois caractéristiques qui ne doivent rien au hasard :
- Une dérive relevable pour naviguer dans les multiples zones de hauts fonds en Arctique et même esquiver les glaces en naviguant entre la banquise et la côte.
- Des plaques d’aluminium de 12 millimètres dans les fonds et 6 millimètres au niveau de la flottaison pour pouvoir aller frotter la glace le cas échéant.
- 15 mètres de long pour pouvoir embarquer suffisamment de scientifiques à bord… Northabout compte 8 couchettes et a embarqué, dans la pratique, jusqu’à 13 personnes !
Pour une visite virtuelle du bateau sur le site d’Unu Mundo, c’est ICI.
Le voilier de Tobias et Sophie est un « plan Caroff », du nom de l’architecte naval qui l’a dessiné : c’est LE bateau de voyage par excellence, avec un carré légèrement surélevé pour pouvoir rester au chaud tout en voyant dehors. Il est gréé en cotre, c’est-à-dire avec un mât unique et la possibilité d’installer deux voiles différentes à l’avant (foc et trinquette). Les deux voiles d’avant sont sur enrouleur, ce qui limite les manœuvres lorsqu’il faut les régler. Côté moteur, sa puissance est de 92 CV, et la capacité en gazole du bateau est de 1800 litres.
Leur première navigation avec Northabout, Sophie et Tobias la font entre Bristol et Saint-Malo, début juillet. Ils rejoignent ensuite Roscoff, en Bretagne Nord, où ils se préparent pour la grande traversée : 14 jours pour atteindre le Groenland, avec 4 équipiers à bord. « On avait déjà navigué, mais pas du tout sous ces latitudes, explique Tobias. Trois des quatre autres équipiers n’avaient jamais mis les pieds sur un bateau. En fait, ils ne savaient pas trop dans quoi ils s’embarquaient… et nous, on les emmenait tout droit traverser l’Atlantique Nord avec un bateau qu’on ne connaissait pas ! ».
« Des moments d’extase totale »
La suite de l’histoire est évidemment heureuse puisqu’ils sont là, attablés aux Cabanes Urbaines devant une pinte de Rocheloise, à nous la raconter. Aujourd’hui, ils sourient de leurs déboires d’apprentis navigateurs polaires. Le mouillage le plus pourri de leur existence, passé à veiller les icebergs pendant toute la nuit et à remonter l’ancre toutes les trois heures… Les 13 kilomètres d’eau indiqués comme 13 km de glace sur Navionics, au pied d’un glacier qui recule beaucoup plus vite que la mise à jour des cartes marines… Leur voyage retour de 11 jours dans des creux de quatre mètres et des rafales à 50 nœuds…
« Il y a eu aussi des moments d’extase totale ». Et leurs yeux parlent d’eux-mêmes lorsqu’ils évoquent, au deuxième jour de leur voyage, leur entrée dans le Prins Christian Sund, 50 kilomètres de fjord encerclés de cimes à 1800 mètres, baignés de soleil. L’extase aussi lorsqu’ils ont réussi, après moult péripéties, à installer les trois stations météo qui faisaient l’objet de leur partenariat avec l’université de Liège. À rapporter une centaine d’échantillons d’eau de mer pour le laboratoire de recherche LOCEAN. À larguer quatre bouées dérivantes pour Météo France. À planter 4000 arbres sur le sol groenlandais avec l’association Greenland Trees…
Mais sur le fond du projet, qui mériterait un livre à lui tout seul, quelques belles images (diffusées par TF1, attention !) valent mieux qu’un long discours :
Unu Mondo : « un monde », en langue esperanto. C’est le nom que Tobias et Sophie ont donné à leur projet. En mai prochain ils repartiront de La Rochelle, toujours pour le Groenland, un peu plus haut. Au même moment et du même ponton, Jade appareillera pour son propre voyage : l’Antarctique. Aux antipodes, donc. Mais (le saviez-vous?) notre Jade est une championne du grand-écart : pendant que sa coque voguera parmi les glaces du Grand Sud, son ancien génois claquera au vent du Grand Nord. Elle l’a offert à Northabout. Elle aussi, elle aimait bien le nom du projet.
… et pour lire les articles que nous avons publiés sur Unu Mondo dans Voiles et Voiliers et la presse rochelaise, c’est par ICI!
Superbe article pour expliquer aux non initiés et à ceux qui ont le mal de mer ! Merci beaucoup …
La maman de Sophie ?
Merci beaucoup, la-maman-de-Sophie! On met un point d’honneur à ce que nos articles soient compréhensibles par tout le monde… Et il est toujours plus facile d’écrire un chouette article quand il y a une belle histoire à raconter!