NANA Tahiti, NANA les amis !

« Au revoir » Tahiti! Depuis le début du voyage, c’est l’endroit où nous aurons passé le plus de temps. Cette fois, nous ne pensions y rester que deux semaines, le temps de préparer Jade aux trois mois de quasi-autonomie en mer qui l’attendent… Le vent du Sud en a décidé autrement. Un mal pour un bien: ça fait plus de temps pour dire au revoir aux copains!

 

 

30 juillet 2024 – Mouillage baie de Cook, Moorea, îles du Vent

19h50 – 25 nœuds de vent au mouillage, encore, ce soir. La nuit dernière, l’alarme de mouillage a sonné trois fois. Christophe pense que nous avons un peu reculé, sans certitude – ce qui serait une première en trois ans. Cette nuit encore, une, deux, dix fois, il se lèvera.

Le vent devrait baisser en fin de semaine. Objectif pour nous : revenir sur Tahiti en évitant, autant que faire se peut, les grosses rafales dans le pif.

 

1er août 2024 – Moorea

8h45, mouillage baie de CookThé vert sur le roof. Le vent est enfin tombé. Le pont de Jade, qui s’est pris des trombes d’eau ces deux derniers jours, est propre comme un sou neuf, définitivement rincé de notre dernière navigation. Le soleil me chauffe doucement les épaules, le fond de l’air est presque frais. Le miroir émeraude de la baie réfléchit le majestueux mont Rotui d’un côté, et de l’autre, le mignon clocher rouge de la chapelle Saint Joseph.

Ce matin, avons décidé de changer de mouillage pour la baie d’à côté : plus facile de s’y baigner, plus facile d’y débarquer à terre. Et puis, il nous faut absolument passer manger un poisson cru au lait de coco chez Tama Hau, le restaurant du fond de la baie. Puis saluer Gilbert, le gérant de la petite marina. Notre dernier séjour à Moorea. Les aurevoirs commencent.

10h30, mouillage de Ta’ahiamanu, baie d’Opunohu – Navigation superbe de 4 milles, d’une baie à l’autre. Une petite heure sur une mer d’huile, sous le soleil, à compter les super yachts à l’ancre – trois dans la baie de Cook, un méga-voilier et le Paul Gauguin dans la baie d’Opunohu. Un dos de baleine, aussi, pour nous rappeler que la saison vient de commencer : sagement, nous obliquons pour ne pas lui couper la route et coupons le moteur.

 

Moorea: la patrie des yachts.

 

17h30 – Etions tranquillement en train de boire notre ti-punch sur le roof face au soleil couchant, face à l’entrée de la passe, face à la bouée rouge qui délimite les hauts fonds en bordure de la zone de mouillage. Etions en train de nous dire que dis-donc, ce monocoque à taud vert et blanc arrive drôlement vite, il enroule la bouée de vachement près, il doit bien connaître. Etions en train de lever notre verre à nos lèvres quand bam, le monocoque est stoppé net dans son élan. Il est monté sur le haut fond, il penche sur bâbord. Echoué. Sous nos yeux. Le temps que nous courrions dans le cockpit pour débloquer le 15 CV que nous avions déjà rangé pour la nuit, le voilier est revenu à flot. Avec sa quille longue, une grosse marche arrière lui a suffi pour se dépêtrer de cette mauvaise passe. Le jeune skipper reprend sa route en faisant un bon gros détour et en nous adressant un petit salut de la main. S’est-il réellement passé quelque chose ?

 

2 août 2024 – Mouillage de Ta’ahiamanu, baie d’Opunohu, Moorea

16 heures – Aujourd’hui, 15 kilomètres à pied, aller côté montagne et retour côté lagon, pour chercher quatre bouteilles de rhum chez Manutea. Le ti-punch comme prétexte à faire de l’exercice, à découvrir des chemins de Moorea que nous ne connaissions pas. A la boutique, quand Christophe a cru avoir oublié la carte bleue au bateau, j’ai quand même manqué m’étouffer.

Au retour à la petite marina d’Opunohu pour reprendre notre annexe, sommes alpagué par un couple de cinquantenaires : « hé, mais c’est Jade ! ». Leur visage ne nous dit rien, et pour cause : nous ne les avons jamais vus. Ils viennent d’acheter un bateau ici, en Polynésie, et suivent nos aventures sur les réseaux. Pour la peine, nous les invitons à passer boire un verre à bord ce soir.

A peine revenus au bateau, un catamaran passe tout près de nous, au ralenti. Le skipper, parfaitement inconnu de nous lui aussi, nous lance : « c’est vrai que vous avez vécu en Tanzanie ? ». Car lui aussi. Nous restons les bras tombants : comment sait-il cela ? Lui n’est pas disponible ce soir, et nous avons prévu de partir demain sur Tahiti. Nous n’en saurons pas plus.

 

Belle balade à Moorea, d’une baie à l’autre, avant d’entamer nos bouteilles de rhum toutes neuves avec Martine et Serge.

 

3 août 2024 – Moorea – Tahiti

7h30 – Levons l’ancre de la baie d’Opunohu. La vallée est à moitié réveillée : sa partie basse est encore tapie dans l’ombre quand ses pics, tout là-haut, verdissent dans le soleil levant. Pour la dernière fois a priori, nous franchissons la passe.

8h30 – Aucun début de houle sous la coque, aucun nuage sur les crêtes de Tahiti, au loin. Aucune baleine à bosse, non plus, pour nous dire aurevoir.

9 heures – On passe la pointe Est de Moorea, on tente de hisser les voiles sans trop y croire et… ça marche ! Jade file à plus de 6 nœuds dans 15 petits nœuds de vent à 60 degrés, un près bon plein comme elle les aime. Progressivement, après trois ans de voyage essentiellement au portant, je me mets à apprécier aussi ces allures : le bateau est appuyé d’un côté, équilibré, et file droit malgré le petit temps. Est-ce la première fois que nous parvenons à effectuer ce trajet retour de Moorea vers Tahiti à la voile ? Je ne me souviens pas. Pour une dernière, en tous cas, c’est joli.

 

Jade sous voiles en direction de Tahiti, immortalisée par le voilier Little Johnny - que l'on remercie!
Jade sous voiles en direction de Tahiti, immortalisée par le voilier Little Johnny – que l’on remercie!

 

20h30, mouillage de Faa’a, Tahiti – Le choc de Tahiti. Même sans avoir encore mis pied à terre. Les avions d’Air Tahiti décollent et atterrissent à quelques centaines de mètres du bateau, les bars flottants balancent en boucle leurs reprises mielleuses de Francis Cabrel au ukulele. Ce choc, nous l’avions eu pour la première fois après trois mois passés entre les Marquises et les Tuamotu. Aujourd’hui, après deux mois dans les îles Sous-le-Vent, il est moindre, mais il est là.

Comme à notre première arrivée à Tahiti l’année dernière, les marinas sont pleines et c’est le mouillage de Faa’a, surpeuplé, qui nous accueille. Comme l’année dernière, Moorea s’enveloppe le soir dans ses draps roses. Comme l’année dernière, les copains Catherine et Thierry sont disponibles pour une pizza à terre dès demain. Retrouvailles.

 

4 août 2024 – Mouillage de Faa’a, Tahiti

21 heures – Réaliser un avitaillement pour quatre mois depuis un mouillage loin de tout… Les deux options qui s’offrent à nous pour rejoindre la terre, Papeete ou la marina Taina, sont à plus de deux milles en annexe : gérable lorsque le vent ne souffle pas trop fort, mais mortel pour les hernies discales du capitaine dès que la houle se lève dans le lagon. Avons du coup décidé de nous y prendre différemment de d’habitude pour cet appro : en plusieurs fois, par petites touches, en rangeant les stocks au fur et à mesure plutôt qu’en une session unique – nécessairement énorme et stressante. Le premier round, cet après-midi, fut constitué de quatre sacs de courses aisément calés dans l’annexe, puis rangés en une heure. Gagné.

 

C’est parti pour un avitaillement de choc! Nous prévoyons de quoi survivre à quatre mois en quasi autonomie (possibilités d’approvisionnement limitées aux Tuamotu et aux Gambier).

 

5 août 2024 – Mouillage de Faa’a, Tahiti

Midi – Mission du jour accomplie : faire renouveler notre exemption de taxe sur le gasoil. Papier valable un mois. Gros plein en perspective avant le départ vers les Tuamotu, puis les Gambier.

13h30 – Avons quitté ce matin un mouillage idyllique pour le retrouver, après un déjeuner en ville, défiguré par 25 nœuds de vent. Les trois milles en annexe depuis Papeete furent sportifs. A l’arrivée, deux annexes s’affairent autour du catamaran voisin, dont les occupants sont absents et qui dérape. Trois autres bateaux ont levé l’ancre et tournent en boucle sur la zone en quête d’une place qui tienne mieux. Moorea a disparu derrière un gros nuage gris.

 

6 août 2024 – Mouillage de Faa’a, Tahiti

18 heures – Apéro sur le roof. Moorea a cette capacité à difracter la lumière du soleil couchant comme aucune autre île. C’est qu’elle doit être pile sur notre Ouest. Chaque soir, nous nous retrouvons devant une fresque de Michel Ange, avec Dieu qui nous parle par rayons interposés entre deux pitons rocheux.

25 nœuds de vent toute la journée, d’avons pas quitté le bateau.

 

C'est quand même fou, une lumière pareille...
C’est quand même fou, une lumière pareille…

Chouette rando à la Mission, sur les hauteurs de Papeete, en compagnie de nos amis Catherine et Thierry et de leurs copains.

 

8 août 2024 – Mouillage de Faa’a, Tahiti

17h30 – Pourtant, la journée a été calme. Suffisamment pour que nous envisagions ce matin de reprendre l’annexe pour une seconde session d’approvisionnement au Carrefour de Taina. Au retour au bateau, peu avant midi, j’avais même fait plouf dans une eau translucide. Cet après-midi, pour tout ranger dans les placards et les soutes, aucun tangage inapproprié.

Depuis une demi-heure, tout a changé. Le vent est revenu, 20-25 nœuds. Christophe me dit qu’un front doit passer juste au Sud de Tahiti, qu’avec un peu de chance il passera un peu plus loin, nous épargnant pluie et rafales les plus fortes. Une ligne grise de nuages s’avance lentement vers le mouillage. A mesure qu’elle s’avance, elle noircit. Moorea a totalement disparu, pour Tahiti le numéro de prestidigitation météorologique est en cours. Un mélange de noirceur et de lumière dorée du soir s’est abattu sur le mouillage, les bateaux tirent sur leur chaîne et tournent sur eux-mêmes. Comme eux, Jade ne sait plus où elle en est. En bateau, comme ça tranquilles à l’apéro, il nous arrive de voir l’Apocalypse nous arriver dessus.

 

Un beau front qui nous arrive dessus au mouillage, ça donne ça.

 

10 août 2024 – Mouillage de Faa’a, Tahiti

9 heures – Ce matin, nouvelle série d’articles dans la presse locale sur le « fléau des voiliers » en Polynésie. D’habitude, sur ce blog, nous ne nous arrêtons pas sur ces sujets. Mais là, ça fait beaucoup. Coup de gueule, donc – pour ceux qui savent déjà que ça va les saouler, rendez-vous quatre paragraphes plus bas.

Il y a quelques jours, un voilier s’est échoué sur la plage de Mahina, près de la Pointe Vénus, au Nord de Tahiti. Le maire, interviewé par la télé locale et qui s’exprime devant trois voiliers à l’ancre, déplore la « surpopulation » des bateaux dans sa baie. Baie qui est un « lieu historique, sacré », puisque Cook y a débarqué, baie qu’il faut « respecter » – ce que la présence de trois voiliers, apparemment, rend impossible, mais celle de gros paquebots de croisière, d’après lui, non. Voiliers qui, selon lui, sont responsables d’une « pollution visuelle » insoutenable et, ajoute-t-il, « probablement aussi d’une pollution environnementale, car nous n’avons pas les moyens de vérifier qu’ils ont bien un système de traitement de leurs ‘’égouts’’ à bord ».

Au-delà du fait que tous les voiliers sont aujourd’hui équipés de cuves à eaux noires, que ce qu’ils rejettent à l’eau relève exclusivement du biodégradable, et que la pollution du lagon de Tahiti provient en grande partie des dépôts sauvages non réprimandés et du dysfonctionnement du traitement des eaux usées à terre (les zones les plus polluées sont situées aux embouchures des rivières, c’est une étude du ministère de la santé polynésien qui le dit), au-delà de tout cela qui est déjà pas mal donc, je me demande où cet homme a bien pu fourrer son honnêteté intellectuelle (comme tous ceux qui développent ce discours nauséabond dans les médias): traiter les gens en criminels par défaut, parce qu’on n’a pas pu « vérifier ». Monsieur le Maire, l’équipage de Jade vous invite officiellement et cordialement à son bord pour « vérifier » tout cela de vos propres yeux, et puis après on boira un ti-punch au rhum de Taha’a qui est excellent, histoire de se raconter des choses intéressantes.

Jade évolue dans cette ambiance depuis plus d’un an. Aucun incident direct à déplorer pour nous mais des articles dans les médias, des histoires en continu… Les voiliers sont parqués loin de tout, comme nous actuellement, souvent sans possibilité de se rendre à terre ou de pouvoir laisser leurs poubelles dans un endroit fait pour. Tous n’ont pas une attitude irréprochable, bien entendu. Mais la majorité d’entre eux sont respectueux des lieux et des gens. S’ils sont responsables de la « pollution visuelle » dont on les accuse, c’est que le faible nombre de zones où ils sont autorisés à ancrer les oblige à se concentrer dans des mouillages-parkings, désagréables à regarder depuis la côte certes, mais tout aussi désagréables à vivre pour eux. Rendons-nous donc à l’évidence : nous ne sommes pas les bienvenus en Polynésie – et c’est bien dommage car ce Pays et ses habitants, cette question mise à part, sont un enchantement.

Mais je m’emballe. Dans quelques semaines Jade quittera Tahiti, c’est peut-être bien ainsi.

 

Vous avez dit "pollution"...?
Vous avez dit « pollution »…?

 

12 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

19h30 – Ce soir, on respire mieux. Une semaine après avoir donné notre numéro à un voilier américain susceptible de quitter sa place à la marina de Papeete, nous y sommes – aucune réservation possible à cette marina, nous ne le savons que trop bien : les bateaux s’arrangent entre eux.

Maintenant que nous sommes ici, nous réalisons à quel point le mouillage de Faa’a nous tapait sur les nerfs : loin de tout, en plein vent, les uns sur les autres. Depuis cet après-midi, avons retrouvé une liberté de mouvement que nous avions perdue : pouvoir mettre pied à terre quand bon nous semble, pour tout un tas d’objectifs accessibles en ville. Avons ouvert le bal, ce soir, avec une glace coco au triporteur du jardin Paofai.

Après une semaine passée à faire l’avitaillement du bateau par petites touches, allons pouvoir passer à la phase deux de nos préparatifs : visite aux shipchandlers et magasins de bricolage, montée au mât, grand ménage à grandes eaux, pleins d’eau et de gasoil. Allons également pouvoir renouer avec une vie sociale et envisager de pouvoir dire aurevoir comme il se doit à nos amis d’ici.

 

Jade est enfin à Papeete! (on aime bien, Papeete...)
Jade est enfin à Papeete! (on aime bien, Papeete…)

 

15 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

18h30 – Encore une superbe journée en compagnie de Catherine et Thierry, qui nous ont emmenés barbotter dans le lagon de Tahiti face à Moorea. 1h30 avec palmes, masque et tuba parmi les tortues vertes, requins pointe blanche et raies léopards. La beauté du monde sous la main.

 

 

17 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

18 heures – On enchaîne les aurevoirs avec aujourd’hui, sur la Presqu’île, un dernier salut à Stéphane, le gendarme de Taravao qui a jeté un œil sur Jade pendant nos six mois d’absence en métropole. Avec son épouse Fabienne, ils suivent notre voyage depuis le début. Invités au pot de départ à la retraite de Stéphane, sommes venus leur souhaiter bonne chance dans leur propre projet de voyage en bateau. Les polos rouges « Balade de Jade » leur porteront bonheur, pour sûr !

Pensions larguer les amarres à l’issue de cette petite sauterie, mais les prévisions météo sont trop mauvaises pour les jours qui viennent : 30 nœuds de vent, 4 à 5 mètres de houle… Même les navettes inter-îles ont annulé des rotations. On va attendre gentiment que ça se tasse… Ici, au ponton en plein centre-ville, on n’est franchement pas mal.

 

Bon vent pour votre projet, les amis!
Bon vent pour votre projet, les amis!

 

20 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

20h30 – Depuis hier, Jade a son esprit protecteur : un beau tiki marquisien, sans lequel nous ne voulions pas partir. Depuis ce soir, il a un nom : Taimiti. Un vieux prénom polynésien, d’après l’Internet, qui signifierait « Chant de la mer », « Appel du large » … Quelque chose comme ça. Pile ce qu’il nous faut pour les mois à venir.

La série des aurevoirs se poursuit : cet après-midi, avons salué une dernière fois Emilie, Marc, Aedan et Malone, rencontrés ici il y a un an grâce au père d’Emilie, qui suit les aventures de Jade depuis la Bretagne. Et que nous ne connaissons pas.

Malgré les aurevoirs, les nouvelles rencontres continuent de s’égrener, en parallèle. Hier, avons pris un café à bord avec Didier et Florence, de passage à Papeete pour quelques jours, qui nous suivent depuis la Nouvelle Calédonie et m’ont reconnue sur le chemin de la douche. Ce blog aura au moins eu cette utilité : nous faire rencontrer des gens que, sans lui, nous n’aurions jamais rencontrés. Emilie et Marc d’Arue, Fabienne et Stéphane de Taravao… Si, en plus, le récit de nos aventures a pu faire rêver une poignée de personnes depuis leur canapé ou leur fauteuil de bureau, alors je considère que j’aurai mille fois atteint mon objectif.

21h30 – Analyse météo du soir : une belle fenêtre semble se dessiner en toute fin de semaine : 15 nœuds de Sud-Est qui nous permettraient de rejoindre Fakarava, aux Tuamotu, en un seul bord avec vent au travers… What else? A confirmer, évidemment.

 

Taimiti vous salue bien, les amis! Avec le bricolage qu’a réalisé Christophe, notre esprit protecteur devrait pouvoir rester à sa place même en navigation…

 

21 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

7h30 – L’un de mes derniers (MON dernier ?) footings au jardin Paofai. Une pleine lune toute pâle subsiste encore au-dessus des sommets de Moorea, cercle irréel d’un blanc laiteux perché sur les sommets gris-rose noyés dans la brume. Lumières d’une autre planète.

9 heures – Le capitaine a étudié un autre modèle météo ce matin, qui identifie bien une bascule de vent vers le Sud-Est pour dimanche mais avec 25 à 30 nœuds au compteur. Pas la même histoire qu’hier soir. D’ici deux-trois jours, les modèles devraient concorder. Quelle version l’emportera: la soft ou la hard?

 

21 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

17h45 – L’hypothétique fenêtre météo vers les Tuamotu nous passe à côté, pour une raison indépendante du baromètre : le blocage de l’une de nos cartes bleues par la banque, en France, pour cause d’achat sur un terminal commerçant piraté. Notre amie Catherine a la gentillesse de nous prêter sa boîte postale à Papeete pour l’envoi de la nouvelle carte. Dans l’attente, sommes bloqués ici. Voyons le bon côté des choses : si c’était arrivé aux Tuamotu ou aux Gambier dans les semaines à venir, nous aurions été sans solution. N’avons plus de questions météorologiques à nous poser jusqu’à réception de la nouvelle carte. L’administratif qui nous rattrape : c’est ça aussi, le voyage.

Pour la première fois ce matin, Christophe a évoqué la possibilité que nous n’allions pas aux Tuamotu, mais directement aux Gambier. Le Maraamu est encore bien fort en cette fin août – nous espérions qu’il commence à se calmer à partir de mi-août, mais cette année visiblement, il est tenace. Lorsqu’il nous laisse un peu de répit, ce n’est que pour un jour ou deux, avant de resouffler de plus belle : même si nous arrivions à trouver une courte fenêtre pour monter jusqu’à Fakarava, nous subirions ensuite du vent fort au mouillage, avec impossibilité de quitter le bateau. A Papeete nous avons la protection de la marina, les distractions de la ville et les copains. Attendre ici est loin d’être une punition.

 

28 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

13 heures – Ce matin, excursion touristique dans le lagon : sortie-gasoil jusqu’au ponton essence de la marina Taina, à 5 milles d’ici. C’est que notre exemption de taxe n’est valable que jusqu’à la fin du mois… 400 litres de plus dans le réservoir, le plein est fait, sommes parés au décollage. Toujours pas trace de la carte bleue qui doit arriver. Avons repris notre place B10 à la marina de Papeete et attendons, sagement.

 

Notre vie de patachons à Papeete: les copains, les copains des copains, et… les bébés des copains. Ah, et un peu de cuisine aussi: on a testé le poisson pané à la tahitienne (farine de coco / œuf / coco rappée), pas mal du tout!

 

31 août 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

19h30 – Une après-midi comme on les aime, à bord de Jade : totalement improvisée, avec tout un tas de gens. Vers 15h, un « youhou » appuyé nous parvient du boulevard : ce sont Brigit et Gerald, nos amis suisses du voilier Jetlag ! La dernière fois que nous les avons vus, c’était il y a deux mois à Raiatea. Pour la peine, ils restent boire le café. Bientôt, Laetitia, du catamaran Atlantide, nous rejoint avec la petite dernière de la fratrie, Célestine… jusqu’à ce que j’entende derechef mon prénom hélé depuis le boulevard : encore des amis de Raiatea, rencontrés grâce à notre blog il y a quelques semaines. Cette fois, on sort les bières et les cacahuètes.

Hier soir, c’étaient nos amis Laurence et Manu du voilier Pilgrim, ainsi que Pauline et Yann de Joséphine, avec leurs deux pitchounes, qui étaient à bord. Demain, nous déjeunerons avec Isabelle et Patrick, fraichement rentrés de métropole où ils ont passé trois mois. Avec cette attente de fenêtre météo renouvelée de semaine en semaine, nous en venons à revoir des gens que nous ne pensions pas revoir. Une aubaine, finalement !

 

1er septembre 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

Carte bleue arrivée à bon port, météo plus défavorable que jamais. On prend notre « mal » en patience, sourire aux lèvres.

 

5 septembre 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

22 heures – Superbe journée autour de Tahiti avec un couple qu’encore une fois, nous ne pensions pas revoir : Véronique et Benoît du voilier Risorius. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était fin 2021… aux Canaries ! Malgré la rapidité de notre rencontre, le courant était passé tout de suite.

Les avons retrouvés il y a quelques jours alors qu’ils venaient de prendre leur place au ponton F de la marina de Papeete, leur grand-voile déchirée. Ont pris 45 nœuds de vent entre Tahiti et Moorea : preuve, s’il en fallait une, que Jade ne patiente pas à l’abri pour rien. Au fil de notre premier apéro ensemble depuis trois ans, Véronique et Benoît nous apprennent qu’ils ont pour projet de rallier la Patagonie en fin d’année, selon un calendrier à peu près similaire au nôtre… Avons convenu de rester en contact. Avec les années d’expérience de navigation qu’ils ont derrière eux, y compris dans des régions froides telles que l’Alaska il y a quelques mois, quelle chance ce serait de pouvoir descendre au moins une partie des canaux de Patagonie avec eux !

 

Nous profitons de ce tour de Tahiti pour découvrir les nouvelles installations mises en place à Teahupoo, le site qui a accueilli les épreuves de surf des JO il y a quelques semaines.

 

6 septembre 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

9h30 – A partir de la semaine prochaine, le Maraamu semble donner quelques signes de faiblesse : vent un peu moins fort, et qui commence à légèrement tourner du Sud-Est vers l’Est… Aller, encore un petit effort!

Avons pris ce matin la décision d’attendre encore quelques jours, afin de voir si cette évolution se confirme – et accessoirement, que le mal de dos du capitaine, revenu en force cette semaine, se calme lui aussi un peu. Par conséquent, plus nous attendons, plus l’option d’une navigation directe vers les Gambier se fait sa petite place dans nos têtes désamarinées… Dix jours de mer après plus d’un mois d’immobilisation au port, on va rire.

 

Une dernière (?) petite rando sur les crêtes de Tahiti.

 

12 septembre 2024 – Marina de Papeete, Tahiti

13 heures – Avant-dernier jour à Papeete. Mis bout à bout, en un an et demi en Polynésie, nous aurons passé plus de trois mois dans cette ville… De quoi s’y attacher. Forcément.

A l’avant-veille de partir, le cerveau redevient sensible à des détails qui étaient devenus trop familiers: le son des ukuleles qui jouent en groupe sous les arcades du boulevard de la Reine Pomare, le goût du cappuccino du matin en terrasse de La Petite Maison rue de Nice, la couleur des bouquets énormes vendus par les dames du marché. On se rappelle à quel point tout cela, les premiers jours ici, nous a surpris et enchantés. On se surprend à sourire.

J’ai trouvé un nom pour cet état d’esprit qui, en voyage, me prend si souvent aux tripes: la « déjà-nostalgie ». A la grande libraire du centre où l’on est pourtant passés dix fois, c’est elle qui nous guide vers un rayon que nous n’avions jamais encore remarqué: celui des récits de voyage polynésiens de Melville ou Stevenson (excusez du peu), dont on a tant entendu parler depuis que l’on navigue dans ces parages. Ça tombe bien, on vient de laisser plusieurs ouvrages en accès libre au bureau de la marina. L’idée du capitaine était de récupérer un peu de place sur les étagères de notre cabine… On ressort de la librairie les bras chargés de livres: ça n’est pas demain la veille que Jade s’allègera.

Didier, le copain météorologue qui navigue avec Evelyne à bord de Mintaka, nous a livré ce matin son analyse: la fenêtre météo qui se profile pour les Gambier est un peu moins belle que ce qu’annonçaient les prévisions d’hier – mais la fenêtre « idéale » pour ce trajet, en cette saison, n’existe pas. Nous naviguerons en majorité au près et potentiellement pas mal sous la pluie – comprendre: « vous vivrez pendant dix jours penchés et mouillés ». Ô joie. Nous y sommes prêts. La suite du programme, de toute façon, ne nous réservera que très rarement de navigations faciles. Jade est faite pour ça. Autant commencer à s’y faire.

 

Parés pour dix jours en mer!

 

 

 

7 Comments

  1. C’est dingue cette manie que vous avez de sourire à pleines dents sur toutes les photos ! :-))
    Continuez comme ça et portez-vous bien !
    Bises,
    Olivier.

  2. Penchés et mouillés…ouahh et bien bon courage pour les 10 jours à venir.
    Bravo ma fille, tu es une poétesse de talent :
    « Chaque soir, nous nous retrouvons devant une fresque de Michel Ange, avec Dieu qui nous parle par rayons interposés entre deux pitons rocheux. ».
    Ha et tu m’expliqueras le « déjà-nostalgie » ????
    Bon vent à vous trois (je compte Jade bien sûr).

  3. Excellent !!! Même de loin, on vit tout ça avec vous ???? les aurevoirs ne sont jamais évidents, mais si le destin est imprévisible, le monde reste petit : on finit toujours par se recroiser ! Kenavo / Nana ???? et surtout : bonne nav vers les Gambiers ! ????⛵️????

  4. Vite la suite. Je me régale à vous lire, regarder les photos, constater que vous avez toujours la banane et que vous partagez généreusement votre voyage et vos péripéties. Merci merci !

  5. Le bonjour te va, Taimiti,
    Puissent ces premiers jours de mer t’être agréables, car il te faut rester en forme pour permettre à Estelle de continuer à nous faire vivre leur odyssée comme si nous étions à bord et à Christophe de continuer à passer du tournevis au déchiffrement des prévisions météo locales pointues.
    Bon vent à tous les trois et bises à partager selon mérite respectif.
    Edith et Roger

  6. Merci pour toutes ces histoires et ces sourires! Cela met toujours plein de soleil sur mon ecran!
    Bon vent pour les Gambiers. Je reverais bien de pouvoir prendre un quart de temps en temps!..
    Dans tous les cas vous pouvez faire un crochet par la Nouvelle Zelande……… voir Sydney…?
    Bises a vous deux,
    Fred

  7. Merci Fred! Nouvelle Zélande et Australie ne sont pas au programme pour le moment, mais sait-on jamais, un jour…
    Bises à Véronique et toi, portez-vous bien!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.