Hommage à l’île d’Aix

Pendant plus d’un an, elle aura été notre terrain d’entrainement préféré. Mouillages, débarquements en annexe, balades à pied… Par tous temps ou presque. À la veille du départ, on se dit qu’on lui doit un peu quelque chose. À cette île.

 

Étourneaux, roses trémières et soleil couchant. Au détour d’un virage des fortifications Vauban, l’ombre du Fort-Boyard à contre-jour. La plupart des touristes sont repartis avec la navette de 20h. Les vélos de location sont rentrés au garage. Dans les anciens baraquements militaires devenus charmantes maisonnettes fleuries, 250 âmes vivent à l’année. A cette heure, les ombres croisées aux angles droits des ruelles XVIIème, ce sont elles.

 

 

En terrasse du café de l’Océan, place Austerlitz, nous avons deux serveurs pour nous tous seuls. Deux rugbymen, apprend-on, dont l’un natif de l’île nous raconte son enfance de petit Aixois. Il est bientôt l’heure de passer à l’addition. Notre annexe est restée sur la jetée, montée à bout de bras sur les pavés, tout à l’heure, grâce aux nouvelles roulettes que nous lui avons installées à l’arrière.

Nous nous dirigeons vers la jetée tout en devisant du charme d’Aix le soir. Odeur mêlée des roses et de la vase. Et là : notre annexe, oui, attachée à un anneau sur la jetée, oui, mais… où est passée l’eau ? Pendant que nous dinions, la mer s’est retirée.  C’est maintenant marée (très) basse. Et pour remettre notre annexe à l’eau, il va nous falloir traverser à pied, en la tirant dernière nous, les 100 mètres de vase qui nous séparent du chenal. Nous retroussons nos pantalons. Christophe passe devant. Il s’enfonce dans la vase jusqu’aux cuisses. De toutes ses forces, il tire l’annexe, je l’aide autant que je peux en poussant derrière. Mais ça glisse… A chacun de mes pas, mes chaussures bateau risquent l’engloutissement dans un énorme bruit de succion. Nous nous en sortirons finalement en une demi-heure, au prix d’un nettoyage à grandes eaux de l’annexe et de nous-mêmes sur la jupe arrière de Jade.

 

 

Le temps arrêté

 

C’était en juillet 2020. L’île d’Aix nous faisait un chouette cadeau de bienvenue. A sa façon elle nous rappelait, dès les premières salutations, que la mer fait ce qu’elle veut. Que quand elle veut, elle se barre, quand elle veut, elle s’anime. Que rien ne sert de râler, il faut prévoir, ou bien subir.

Depuis nous les avons arpentés, ses chemins, ses ruelles. Sous le soleil cuisant de l’Anse du Saillant. Sous les frais feuillages du Bois Joly. Sous l’œil vaguement mauvais de l’aigle qui trône sur le toit du musée napoléonien – sis rue Napoléon comme il se doit – et qui veille pour l’éternité sur le lieu où l’Empereur passa ses derniers jours en France, en 1815, avant d’embarquer pour Sainte-Hélène sous escorte anglaise. « Tout fut sublime en lui, sa gloire et ses revers. Et son nom respecté plane sur l’Univers ». Merci, l’aigle. N’empêche que la première fois que j’ai levé les yeux vers toi, je m’en souviens, tu clamais tes alexandrins au monde avec un pigeon posé sur ta tête.

 

 

Le temps, ici, semble comme arrêté quelque part entre 1780 et 1840. Même l’église Saint-Martin, pourtant beaucoup plus ancienne, est à jamais marquée par cette époque troublée. Dans ses entrailles reposent les corps de 37 prêtres martyrs de la Révolution. 37 sur les 827 qui furent déportés à Rochefort pour ne pas avoir voulu renier leur foi, et dont l’immense majorité mourut de faim, de froid ou de maladie dans les cales du Les Associés et du Washington, deux navires négriers mouillés en rade de l’île. Au cours des siècles suivants, on retrouva des ossements. Difficile d’imaginer que de ce lieu aujourd’hui si paisible ont retenti, pendant des semaines durant, bien des cris.

 

 

L’appel du Pierre Loti

 

Les navires négriers ont laissé place aux voiliers de plaisance. Aix leur offre l’abri de ses mouillages pour tous les temps possibles : Baby Plage au Nord, l’Anse de la Croix au Sud-Ouest, une bouée face à la pointe Sainte-Catherine au Sud-Est – pour compter les rotations du Pierre Loti, le navire qui assure la liaison depuis Fouras.

 

 

C’est ici que nous sommes, ce soir. Certainement notre dernier soir face à l’île d’Aix. Il est 23h et nous resterons éveillés encore deux heures car nous avons calculé juste pour la marée basse et redoutons que les quilles de Jade ne fleurtent avec la vase – encore elle. Quand l’heure arrive, le Pierre Loti attrape lui aussi sa bouée, la rouge. Les gars la saisissent avec une immense gaffe. Dix minutes plus tard, ils quittent le bateau à bord de leur zodiac et rejoignent la jetée. Ils passeront la nuit sur l’île.

Nous, nous restons ici. À nous balancer doucement au rythme de l’eau qui descend. Sur le gros bateau à la bouée rouge, aucun feu de mouillage. Juste une ombre un peu plus sombre, dans la nuit. Et Pierre Loti qui nous chuchote, quelque part depuis l’Histoire, que le voyage approche.

 

 

 

9 Comments

  1. Merveille merveille bientôt top départ pour les côtes espagnoles ou nous nous retrouverons avec Joie . A bientôt donc cet été . Bon Vent de Claire et Philippe les Biarrots

  2. Agur,
    Toujours fâché avec mon téléphone, je ne prends connaissance de votre énième et dernier passage (avant très longtemps) à l’île d’Aix. Île que je n’ai pas foulée depuis des dizaines d’années. Souvenirs remontés par votre balade.
    Il fut un temps où j’aurai dit «  bonne piste », mais ce sera « bon vent ». Adio. Thierry

  3. L’île d’Aix racontée avec beaucoup de poésie. Et maintenant Aixit, direction votre beau projet.

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