« Donner du sens à ses vacances » à bord d’Ikigaï
Elle est coach, il sait tout construire. Ils naviguent depuis 25 ans. Gwendoline et Johnny, avec leur fils Elouan, sont partis de La Rochelle un mois après Jade pour un voyage qu’ils ont bâti à leur image : ils proposent des croisières à thèmes axées sur le développement personnel. Dès le début leur voilier, Ikigaï, a piqué notre curiosité. Leur projet aussi.
« Ça va, pas trop mal… ? Ça tire pas trop? ». J’ai la tête en bas, les fesses en l’air. Mes jambes et mes bras sont tendus à mort. Pour répondre à la question que vient de me poser Gwendoline, crispée à ma droite dans la même position que moi – qui porte le doux nom de « chien-tête-en-bas » en langage yogi, ce qui veut tout dire – j’ai tenté de tourner la tête, de capter son regard. Sans succès. Concentrée sur l’effort en cours, je n’ai pas entendu les pas feutrés du prof qui s’approchait. Il pose ses mains sur mon dos et tire quelques millimètres vers le haut. « La bonne position, Estelle, c’est plutôt ça ». Je retiens un gémissement. Dix secondes plus tard, j’entends la même phrase prononcée à l’adresse de Gwen, puis son souffle s’accélérer. Ce jour-là, elle et moi avons fait connaissance. Pour de vrai.
C’était à l’hiver 2020-2021, à La Rochelle. Il faisait -3 degrés dehors – conditions parfaites pour tester le tout nouveau poêle Reflex installé à bord de Jade. Gwen, croisée sur le ponton C5 du bassin des Chalutiers, avait eu le temps de nous parler d’un « prof-de-yoga-extraordinaire-à-connaître-absolument-je-te-prête-une-trotinnette-on-y-va-ensemble », et d’un tour du monde à la voile qu’elle préparait avec son compagnon, Johnny, et leur fils Elouan. Départ prévu à l’été 2021. Comme nous. On est vite passés des cours de yoga aux soirées-apéros.
« Ikigaï, il cochait toutes les cases »
Quand elle n’a pas la tête en bas sur un tapis de yoga, Gwen est coach. Son boulot, depuis une dizaine d’années, c’est d’observer les gens à travers ses lunettes à écailles et de les aider à trouver leur voie – professionnellement et souvent, en faisant quelques détours par leur vie personnelle. Jo, lui, à la base, est électricien. Mais en vrai, il sait tout faire. En vingt ans, il a travaillé comme électricien-automaticien chez Citroën, puis technicien chez France Télévisions et M6, pour enfin monter sa propre boîte dans le BTP. Quand il parle à Christophe des derniers aménagements qu’il a fait sur son bateau, de sa voix toute douce qui jongle l’air de rien avec le vocabulaire technique, je comprends un mot sur deux. Mais je ne m’inquiète pas. Tout est normal. Quant à Elouan, 13 ans et fan de mangas, il dessine. Il aimerait en faire son métier – et lorsqu’on voit les portraits des voisins de ponton réalisés par ses soins, on ne doute pas une seconde qu’il y parviendra.
Leur bateau, Ikigaï, la petite famille le connaît par cœur. Ils l’ont pensé ensemble, aménagé ensemble. Ils sont allés le chercher en Croatie, fin 2018. « Après notre précédent voyage en bateau, on avait noté sur un paperboard toutes les caractéristiques que devrait avoir notre prochain voilier, raconte Jo. Ikigaï cochait toutes les cases. En deux heures de visite, j’avais à peu près chiffré les travaux qu’il faudrait faire. On a à peine dépassé ». A La Rochelle, de l’autre côté de la passerelle du musée maritime, on pouvait voir le cotre de 19,50 mètres se métamorphoser de mois en mois: aujourd’hui une nouvelle capote rigide au-dessus du cockpit ; demain, une toute nouvelle delphinière à l’avant. Sans compter la fois où, sorti de l’eau, Ikigaï a complètement changé de couleur. Au printemps 2021, Jo nous annonce qu’il passe son Yacht Master et Gwen, qu’elle met la dernière touche à son programme de coaching « spécial Ikigaï ». Forcément, il va falloir nous expliquer. Si possible, autour d’un ti-punch.
Qu’est-ce qui vaut le coup de se lever le matin…?
Bien au chaud dans le carré de Jade, Gwen et Jo nous exposent leur projet. A bord de leur grand voilier qui peut accueillir 5 personnes en plus d’eux trois, ils veulent faire venir des gens. L’idée : mixer le voyage en bateau et le travail sur soi-même, autour de croisières à thèmes. « Le principe, m’explique Gwen, c’est d’avoir à bord des groupes de trois à cinq personnes. On bosse une demi-journée et l’aprem, on part en rando, on fait du paddle, on va voir les petits poissons. J’ai construit quatre parcours de coaching, individuels ou collectifs, qui passent par des exercices, des feedbacks, des mises en situation. C’est plus facile de se dévoiler dans ce type de contexte ».
La première des quatre thématiques sur lesquelles Gwen a travaillé se résume en une question : « c’est quoi ton Ikigaï ? ». « Le terme, d’origine japonaise, est une juxtaposition de deux mots : « vivre » et « récompense ». En gros, ça revient à se demander ‘’qu’est-ce qui vaut le coup que je me lève le matin ?’’ ». La seconde thématique a trait aux émotions : tenter d’en faire des amies plutôt que des ennemies, ou des étrangères reléguées au fond d’une poche – ce qui n’est pas forcément mieux. Le troisième thème de travail est de « développer l’audace » : un concept de plus en plus souvent mis en avant dans les chartes de valeurs des entreprises, mais qui reste souvent à définir – et que certaines mises en situations, sur un bateau, peuvent révéler. Quant au quatrième thème, Gwen est allé le chercher directement dans son expérience personnelle : « J’ai eu un cancer du sein. On revenait de notre tour de l’Atlantique, il y a cinq ans. Avec Jo, on s’est regardés et on s’est dit ‘’bon, on se remet en mouvement ?’’. Un mois plus tard, notre décision était prise : acheter un nouveau bateau et repartir. J’ai envie, maintenant, d’accompagner à ma manière des gens qui sont touchés ou ont été touchés par cette maladie ».
« Il y a des gens qui font des bébés, on a d’abord fait un bateau »
Gwen et Jo ont chacun plus de vingt ans d’expérience sur la mer. Elouan, lui, a appris à marcher sur le pont d’un bateau. C’était en remontant le canal du Midi, en 2009, à bord de leur précédent voilier, Shantalah, 13 mètres de long et 35 ans d’âge. « Ce voilier, on l’a acheté en 2000 puis complètement reconstruit pendant trois ans, explique Jo. On l’a vidé intégralement. On s’était rencontrés pas longtemps avant, Gwen et moi, en Guadeloupe. Il y a des gens qui font des bébés, nous on a d’abord fait un bateau ». Shantalah est mis à l’eau en 2003 puis fait des tours en Méditerranée (en Corse, aux Baléares), en Bretagne et dans le Midi, donc. En 2016, il part pour un tour de l’Atlantique avec la petite famille au complet à son bord. « La transat a été compliquée, se souvient Gwen. Vent établi de 30 à 35 nœuds pendant 12 jours non-stop! Ensuite, alors que Shantalah était au mouillage dans la baie de Fort-de-France (nous n’étions pas à bord à ce moment-là), il s’est fait percuter par un autre bateau. On pense que cet épisode a endommagé sa structure parce que… quelques semaines plus tard, au large de Montserrat, dans des conditions tout à fait classiques, une cadène casse et on démâte ! ». Les histoires d’Elouan, Gwen et Jo autour du monde, Christophe et moi resterons longtemps, dans le cockpit de Jade ou celui d’Ikigaï, à les écouter, les yeux ronds. D’abord à La Rochelle, puis bien plus loin.
Aujourd’hui, le trio de choc est en République Dominicaine. Ikigaï trace sa route vers le Nord des Antilles. Parti en juillet 2021 de La Rochelle, il a croisé Jade au Sud du Portugal en aout puis à Sainte-Anne, en Martinique, en février 2022. A English Harbour le mois dernier, pourtant, au milieu des bruyantes festivités de l’Antigua Sailing Week, notre aurevoir n’avait pas tout à fait le même goût que d’habitude. Nous savons que nous ne nous reverrons pas pendant un moment. Chaque équipage mène son bateau et son projet à son rythme, au hasard des vents et des rencontres. Celle-ci, à n’en pas douter, fut très belle.
Pour ceux que cela intéresse, le site internet des croisières d’Ikigaï, c’est par là: https://www.sailingikigai.com/
Belle rencontre , beau récit …à l’image de tous ceux depuis votre départ ! Quelle richesse ces rencontres ; Et en même temps, admirative de ce mode de vie ! Merci de nous faire partager ces rencontres insolites !
Un article dans voiles et voiliers en perspective ?
Superbe idée : croisière et développement personnel !!
Merci à nouveau pour ce récit. Encore un parcours de vie intéressant, merci pour ce partage
très bonne continuation à vous deux, bises
Bien moins intéressant, je suis au SNU Service national universel j’encadre 49 gamins à Seyne, Seyne est mondialement connu malheureusement, puisque c’est ici, que ce pilote de la Germanwings s’est suicidé avec 144 personnes à bord. No comment
Qu il est doux de lire ces mots, rencontres entre marins plus ou moins éclairés. Notre Alter Ego avait suivi le shantalah au-delà de l Atlantique et le derniers au revoir a été une déchirure. Nos coeurs sont avec Ikigaï, avec son sublime équipage. Peu importe les lieux, les belles rencontres restent gravées là.
J’adore ! Je connais gwen, car on est de la même promo de formation et ça me fait beaucoup de bien de lire ces mots !! Quelle douceur et quel pep’s. Bon à
Vent à vous tous ! Bravo ?