Bora-Bora : à chacun son Far West
Est-ce à cause des bêtes à grandes dents qui peuplent son lagon? Des shérifs à gilet fluo qui font régner l’ordre et la justice en ses mouillages? Bora-Bora fut notre Far West à nous, mais pour une autre raison: nous n’irons pas plus loin vers le soleil couchant. Après trois ans d’Ouest ou presque, Jade entame son grand demi-tour.
19 juillet 2024 – Traversée Taha’a – Bora-Bora, îles Sous-le-Vent
9h30, Taha’a, mouillage de Tapuamu – Pour la première fois depuis un mois et demi, nous reprenons la mer. 20 milles jusqu’à Bora-Bora. On quitte la piscine du double lagon de Taha’a et Raiatea. Objectif du jour, donc : la Perle du Pacifique, enfin, celle dont nous contemplons de loin le chapeau volcanique depuis des semaines, les soirs à l’apéro sur le roof. En se disant chaque fois : « quand même, tu te rends compte, on prend l’apéro devant Bora-Bora… ».
Navigation avec invités, aujourd’hui : ma copine de collège Céline et son compagnon Philippe, qui sont avec nous depuis cinq jours, vont découvrir la longue houle du Pacifique.
11h30 – Les conditions étaient idéales. Jusqu’ici. Le vent est monté de 15 à 20 nœuds, la pluie se mêle de la partie. Prendre une bouée dans ces conditions, on n’a pas encore fait.
14 heures, Bora-Bora, mouillage du Yacht Club – Mouillés devant le Yacht Club de Bora-Bora (s’il vous plaît). Avons géré comme des chefs la prise de coffre avec vent et pluie en pleine face. Les préposés au paiement du mouillage sont arrivés alors que nous avions tout juste terminé la manœuvre: pour la peine, ils nous ont aidé à passer nos amarres dans l’anneau. Ils nous ont gentiment appris que le tarif de la bouée a augmenté depuis le 1er juillet : la première nuit est maintenant à 6000 PCF (50 euros), les suivantes restent à 4000 (33 euros). Le légendaire lagon aux mille nuances de bleu se mérite. Pour aujourd’hui, sous les nuages, nous nous contenterons d’un gris uniforme.
20 juillet 2024 – Bora-Bora, mouillage du Yacht Club
7h30 – Premier petit-déjeuner face au mont Otemanu, ce grand rocher si caractéristique de Bora. Je réalise que si aucune fenêtre météo ne se présente pour rallier Maupiti (ce qui est de plus en plus probable), Bora-Bora signera le moment de notre « retour ». Depuis trois ans et depuis La Rochelle, avons navigué vers l’Ouest. Maintenant c’est l’Est qui nous attend, ses navigations au près et ses couchers de soleil dans le sillage du bateau – mince, comment va-t-on faire pour l’apéro ? La Balade de Jade rebondit ici.
Dernière soirée à Bora-Bora pour nos amis: après une petite session de ukulele à bord, on fait le petit effort vestimentaire qui s’impose (ou pas) pour aller passer la soirée au Yacht Club!
21 juillet 2024 – Bora-Bora, mouillage du Yacht Club
9h30 – Dernière journée avec nos invités. Ce soir, ils s’envolent pour Papeete, et demain matin, pour la métropole.
Ce matin, avons étudié les prévisions météo pour la suite : l’hypothétique fenêtre pour Maupiti est devenue lucarne, puis hublot. Il faut dire qu’en pleine saison du maraamu, il faudrait un bel alignement de planètes pour que se présentent deux journées à moins de 15 nœuds de vent et 1,5 mètre de houle – une fenêtre pour entrer dans le lagon, la seconde pas trop longtemps après pour en ressortir. Par contre, Christophe vient de voir qu’une bascule de vent se profilait dans six jours, idéale pour revenir sur nos pas vers Moorea puis Tahiti. Ces fenêtres de vent du Nord sont rares. Comme toujours, c’est Eole qui décidera du programme.
20h15 – Les amis sont partis, on reprend les bonnes habitudes : routage du soir après le dessert. La bascule de vent de fin de semaine sera courte : 48 heures. Avons testé plusieurs options possibles et pour l’instant, la plus logique consisterait en un retour direct sur Moorea. Si cela se confirme, nous ne reverrons pas les autres îles Sous-le-Vent – Raiatea et son marae grandiose, Taha’a et son magnifique jardin de corail, Huahine et ses mouillages seuls au monde… Pas eu le temps, la présence d’esprit, de leur dire au revoir quand c’était le moment. Leçon à retenir : toujours profiter des lieux, vivre l’instant, comme si c’était la dernière fois.
Premier petit tour en annexe dans le lagon de Bora-Bora: trop de vent et de houle, on doit rebrousser chemin!
23 juillet 2024 – Bora-Bora, mouillage du motu Toopua
11h15 – Ce matin, changement de mouillage. Avons contourné le motu Toopua par le Sud pour venir prendre une bouée dans quatre mètres d’eau. Jade barbotte dans des vaguelettes turquoise – ce qui ne lui arrive pas si souvent. Les environs, à ce qu’on nous en a dit, regorgent de vie sous-marine.
En chemin, sommes passés devant les bungalows sur pilotis d’un hôtel de luxe comme Bora en compte tant. La silhouette écarlate de Jade se reflétait dans les immenses baies vitrées – j’aime à penser qu’elle s’est inopinément incrustée dans la Suite Impériale. L’eau, sous ses quilles, était si claire que j’avais peine à croire le capitaine qui m’annonçait dans le casque sept mètres de profondeur. A l’aspect des patates de corail, j’aurais dit un ou deux… Le chenal, étroit, était très bien balisé. Passés comme une lettre à la poste.
En chemin pour le mouillage de Toopua… et première soirée sur place, face au lagon.
24 juillet 2024 – Bora-Bora, mouillage du motu Toopua
18 heures – Une journée au mouillage comme on aime : où tout s’improvise. Ce matin, Heimana et Tiamo, les deux employés de Bora-Bora Mooring Sercices (BBMS) chargés de faire payer leur bouée aux bateaux, ont un accepté de prendre un petit café à bord. Et de se lâcher un peu… Apprenons tout un tas de choses intéressantes : que Bora-Bora vote un peu plus indépendantiste à chaque élection qui passe, qu’il ne reste que 53 bouées opérationnelles sur les 100 installées par BBMS car les habitants viennent régulièrement les couper, que l’irréductible résistant au tourisme du motu devant lequel nous sommes mouillés envisage d’ouvrir une buvette sur son terrain pour, finalement, « en profiter lui aussi »…
Ce midi, avons fait deux milles en annexe dans le lagon (15 CV obligatoire) pour quelques courses au supermarché chinois et un poisson cru coco en ville. Ce soir : tranche de gâteau banane maison, quelques brasses autour du bateau et ti-punch sur le roof au coucher du soleil. Les bateaux-copains nous ont indiqué pour demain des spots de snorkeling a priori sympathiques.
Avant d’arriver à ce mouillage, étions un peu déçus par Bora-Bora : chère, n’offrant aucun endroit pour débarquer. Tout y est soit sur-organisé, soit interdit (à l’image des mouillages mais également des randonnées, dont on nous a dit à l’office du tourisme qu’elles n’étaient pas autorisées sans guide). Aujourd’hui nous avons compris : si nous nous contentons de son lagon, l’île est accueillante.
Virée à Vaitape, bourg principal de Bora-Bora.
26 juillet 2024 – Bora-Bora, mouillage du motu Toopua
16 heures – Dernier jour à Bora-Bora. Avons fini pour nous payer une demi-journée de location de scooter pour faire le tour de l’île. Bonne humeur instantanée: un moyen de locomotion à terre, tout de suite, c’est la liberté.
A la pointe Fitiu, avons mis pied à terre pour en apprendre plus sur l’occupation américaine de Bora-Bora, à partir de 1942. Après l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais le 7 décembre 1941, les Etats-Unis ont cherché à sécuriser leur ligne de communication avec l’Australie, dans le Sud du Pacifique. Ils ont jeté leur dévolu sur la belle Bora, rapidement devenue base de ravitaillement. Aujourd’hui, quelques vestiges de citernes et bunkers en béton décorent les bas-côté des sentiers de randonnée (interdits, donc). Ici, deux énormes canons 7/45 Mark II peints en rouge pointent l’un vers le chapeau du mont Otemanu, l’autre vers les eaux turquoise du lagon. On a peine à imaginer que la guerre est venue jusqu’ici.
Virée en scooter dans une partie de l’histoire de Bora.
18 heures – N’avons jamais aussi bien vu Maupiti au loin, cône violet sur fond rose, que ce soir où nous savons, définitivement, que nous n’irons pas.
28 juillet 2024 – Moorea, mouillage baie de Cook, îles du Vent
18h15 – On s’était promis de tenir jusqu’à 18 heures. Promesse tenue, notre lit nous appelle. Quelle navigation, mazette !
D’abord le soleil, une quinzaine de nœuds de vent au travers, on avait mis la canne à pêche – c’est dire notre degré de confiance à ce moment-là. Puis une petite houle qui se lève. Le ciel qui se couvre. Un grain. Puis deux. Le vent qui forcit. Christophe me demande s’il faut selon moi qu’il aille prendre le deuxième ris en pied de mât, je réponds que je préfèrerais qu’il n’y aille pas, que ça bouge trop, qu’il fait nuit à présent, mais j’ai tort et il le sait. Il y va. Je suis vaseuse (pas malade, j’ai pris un cachet), je ne parviens pas à lutter contre le sommeil. Je vais me coucher dans la couchette de quart en pensant qu’au moins, un peu reposée, je pourrai être utile plus tard dans la nuit. Christophe gère seul les grains qui s’enchaînent, allongé en ciré dans le cockpit la moitié du temps, l’autre cramponné au winch pour réduire encore car un nouveau grain s’annonce. Vers 3 heures du matin, il me réveille : « on va prendre le troisième ris ».
Au lever du jour, je ne reconnais pas le paysage – j’ai dormi, trop longtemps, Christophe ne m’a pas réveillée, le cachet a fait le reste. La mer a gonflé. Le visage de mon capitaine a disparu sous sa capuche orange. Le ciel nous envoie un grain à 40 nœuds. L’arrivée sur Moorea est interminable. Le soleil revient quelques instants avant que nous entrions dans la passe de la baie de Cook. Sa chaleur nous caresse les épaules, on tombe le ciré. D’un seul coup, tout se calme. Un voilier de 40 mètres, le Sea Eagle, qui nous a devancés une partie de la nuit, se prélasse dans les eaux émeraude de la baie. Comme si cette nuit n’avait jamais existé.
Christophe me dit que ce que nous venons de vivre est un entrainement pour la suite. Une preuve de plus que Jade tient la route même dans des conditions difficiles, qu’elle est un bon bateau. Je me sens mal, pourtant : l’impression de n’avoir pas été à la hauteur, de n’avoir servi à rien. Positivons: ma marge de progression est importante, je ferai mieux la prochaine fois. Et la prochaine. Mon capitaine, comme toujours, a assuré. Mon capitaine et mon bateau : grâce à eux, jamais encore je n’ai eu peur.
Notre navigation de Bora-Bora à Moorea (ou comment l’ambiance, en mer, peut changer du tout au tout en quelques heures…)
29 juillet 2024 – Moorea, mouillage baie de Cook, îles du Vent
18h10 – Journée cocooning au bateau. On en avait besoin. Suis restée en pyjama tout l’après-midi… A peine un saut d’une heure à terre ce matin pour quelques courses, avant que la brume et la pluie ne prennent définitivement possession de la baie. Ah elle était belle, notre « fenêtre » !
Vers 17h, nous nous rappelons que nous avons, au fond d’une cale, les deux tauds de côté que nous avions fait confectionner à Trinidad précisément pour ce genre de conditions météo. Si nous y avions pensé hier, en navigation, peut-être aurions-nous évité de nous tremper jusqu’aux os… Mieux vaut tard que jamais, non? On installe les deux « oreilles » de tissu, le cockpit prend de petits airs cosy. Si on se servait un ti-punch ? Ambiance Patagonie à Moorea. A bord de Jade, notre verre à la main, au chaud et protégés, il fait bon vivre.
Santé! (en pyjama et sous la lessive qui sèche tant bien que mal… quelle classe!)
On a regarde a lheure de l’apero votre passage pour Morea.
Ca nous a fait chaud au coeur de voir vos bouilles, meme si un peu inquietes a certains moments!
Bravo pour cette nav bien negociee et merci pour ce reportage captivant! C’est super pro.
Continuez a nous tenir au jus, et de nous faire rever…. depuis notre canape!
Fred et Vero
He ben quels grains !!
Heureusement qu’il y a les tauds et le ti-punch.
Toujours passionnant et si impressionnant de vous lire.
Oú puisez vous ces merveilleux sourires et cet indéfectible optimiste ?
C’est vrai que Bora si fréquentée par les touristes est loin de tenir ses promesses mais son lagon est absolument magnifique. Encore faut-il que le soleil soit de la partie…
Courage pour la suite. À bientôt peut-être si la « fenêtre » ( comme tu dis Estelle) le permet.
Olala ! La nav parait plus éprouvante à travers tes écrits que via la vidéo !
Magnifique récit et photos comme toujours ,sur vos derniers jours de cabotage ,dans la perle du pacifique, Estelle même si qq fois tu as l’impression de ne pas être à la hauteur tout au contraire je suis persuadé que le Capitaine et Jade sont fiers de toi et de tes prouesses en navigation,et prêtre pour continuer l’aventure.